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front : une ride, émue et perceptible à peine, plissait le poli de sa tempe.

Ses yeux, prirent de l’effroi et se baissèrent, humiliés. Elle demeura un instant comme interdite et n’osant plus regarder la glace accusatrice. Puis sa joue reprit un incarnat léger ; on eût dit qu’elle se révoltait contre l’insulte du miroir ; elle jeta un coup d’œil de défi ; la ride avait disparu.

Sa bouche s’épanouit en un sourire d’orgueil ; elle repoussa en arrière les boucles prodigues de sa chevelure noire et se mit sur son séant.

— Nina ! dit-elle.

Il semblait que ce nom, prononcé presque à voix basse, dût s’étouffer entre les rideaux ; pourtant la porte de la chambre s’ouvrit à l’instant même, et une camériste, jeune, accorte, empressée, traversa le boudoir sans produire aucun bruit. Son pas, souple et léger, se taisait sur la toison épaisse du tapis.

Un peignoir, garni de dentelle, couvrit les épaules de Sara, qui mit ses pieds nus dans de petites mules de velours.

Sa toilette commença. L’eau tiède coula le long de son beau corps et retomba dans le bassin parfumé.

Nina, vive et adroite, semblait se jouer autour de sa maîtresse ; sa main glissait, rapide, laissant partout après soi la jeunesse et la fraîcheur.

Madame de Laurens n’avait pas besoin encore de cet art précieux et frisant la magie qui efface les rides, teint les cheveux et sait rendre un incarnat tout neuf aux joues flétries. Mais les années s’accumulaient ; le jour venait où l’utile talent de Nina ne pourrait point se payer trop cher.

Aussi Nina était-elle une favorite ; sa maîtresse la traitait avec une confiance flatteuse et lui disait absolument tout ce qu’il ne lui importait point de cacher.

Nina devinait peut-être le reste.

Elle présida seule aux premiers détails de la toilette, puis, quand un nouveau peignoir eut arrondi son tissu chaud sur les épaules rafraîchies de Petite, Nina mit en mouvement une sonnette, et une autre jeune fille entra dans la chambre à coucher à son tour.

Celle-ci, camériste du second ordre, n’était point initiée aux intimes mystères du petit lever ; elle n’avait jamais aperçu cette ride ennemie que Nina, entrant à l’improviste, avait plus d’une fois constatée.