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Sur son lit, le corps du brave écuyer Jude émit étendu. Une femme, agenouillée au chevet, priait à voix haute, récitant avec lenteur les versets du De Profundis. C’était la dame Goton Rehou qui rendait les derniers devoirs à son vieil ami.

Didier se découvrit et s’avança. En entendant sur les carreaux le bruit des éperons, la femme de charge tourna la tête. Elle n’avait point encore aperçu le capitalise, et sa vue lui causa une émotion dont la cause restait pour elle un mystère. — Didier s’arrêta près du lit et considéra longtemps en silence les traits de Jude, auxquels la mort n’avait pu enlever leur expression de fermeté, de calme intrépide.

— Pauvre Jude ! pensa-t-il tout haut au bout de quelques minutes, Dieu n’a point permis qu’il arrivât au but si ardemment souhaité… Il est mort avant d’avoir retrouvé le fils de son maître… Il est mort un jour trop tôt.

La vieille Goton Rehou se prit à trembler.

— Monsieur, monsieur, dit-elle ; mes yeux sont chargés de vieillesse et il y a vingt ans que je n’ai vu Georges Treml, mais… au nom de Dieu, qui êtes-vous ?

On entendit le cri des gonds rouilles de la porte extérieure. Didier courut à la fenêtre et aperçut Vaunoy qui entrait dans la cour.

— Qui êtes-vous ? répéta Goton en joignant les mains.

— Vous vous souvenez donc aussi de Treml ? dit le capitaine.

— Si je m’en souviens, béni Jésus !…

— Eh bien ! dame, suivez-moi ; vous entendrez le maître de la Tremlays me donner le nom qui m’appartient.

Didier quitta la chambre, traversa le corridor à grands pas et se rendit au salon où Vaunoy venait d’entrer. La vieille Goton le suivit de loin.

Au salon se trouvaient mademoiselle Olive de Vaunoy, M. de Béchameil et l’officier des sergents de Rennes. Celui-ci aborda brusquement Didier :

— Capitaine, dit-il, hier au soir, pendant le souper, vous vous êtes endormi. Cela n’est pas naturel. Durant votre sommeil on a pillé le château… Je me suis trouvé enfermé dans ma chambre ; nos gens se sont vus parqués dans une grange close… Que pensez-vous de cela ?

— Je vous répondrai ce soir, répliqua Didier en s’avançant vers M. de Vaunoy.

Celui-ci se munit de son plus doucereux sourire.

— Saint-Dieu ! mon jeune ami, s’écria-t-il en ouvrant les bras, et faisant la moitié du chemin, je viens d’apprendre des choses qui me transportent de joie… La Bretagne retrouve en vous un de ses vieux noms et moi le fils d’un excellent cousin… Embrassons-nous, mon jeune parent… Monsieur de Béchameil et mademoiselle ma sœur et vous tous ici présents, je vous informe que le vrai nom de ce cher capitaine est Georges Treml…

— De la Tremlays, seigneur de Bouëxis-en-Forêt, ajouta Georges lui-même.

La vieille Goton qui arrivait au seuil s’appuya contre la muraille. Ses jambes, coupées, — comme on dit vulgairement, mais énergiquement, — par l’émotion, lui refusaient service.

— Je l’avais deviné ! murmura-t-elle en essuyant une larme du revers de sa main ridée. Oh ! que c’est bien ainsi que j’espérais le revoir !… beau, fort,