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geât à dépenser son courroux contre un personnage comme M. de Béchameil. Au contraire, porté à compatir à ce chagrin qui, en définitive, avait une source sérieuse, et tout plein encore des révélations de Jean Blanc, il répondit à l’intendant à peu près comme il l’eût fait à une personne raisonnable, et lui laissa entendre que sa fortune allait subir un complet changement.

Béchameil haussa les épaules.

— Quelque héritage de vilain, grommela-t-il ; deux cents écus de rentes ! C’est égal, s’il est possible de les saisir, je les saisirai… Mais, puissiez-vous me rendre mes cinq cent mille livres jusqu’au dernier sou, monsieur, nous ne serions pas quittes encore.

— Comment cela ? demanda Didier qui ne prit même pas la peine de répondre à ce qui regardait le vol de la nuit précédente.

— Comment cela ? s’écria Béchameil enhardi par le calme de son interlocuteur : vous me le demandez, monsieur !… J’étais le fiancé de mademoiselle Alix de Vaunoy…

— Eh bien ?

— Ce matin, je l’ai trouvée, demi-vêtue, dans la chambre que vous occupiez ; elle priait auprès du cadavre de votre domestique… Ne me demandez pas d’explications sur ce meurtre. Cette maison est un véritable coupe-gorge, et je n’y coucherais pas une nuit de plus quand il s’agirait de recouvrer mes cinq cent mille livres… Alix priait. Usant des droits que je croyais avoir, je l’ai engagée à regagner sa chambre. Elle m’a parlé de vous… je suppose qu’elle avait le transport… en termes qui ne me permettent pas de douter de mon malheur.

— Pauvre Alix, murmura le capitaine ; — ne supposez rien qui puisse blesser l’honneur de mademoiselle de Vaunoy, monsieur, ajouta-t-il avec sévérité.

— J’ai assez de certitudes sans me prendre aux suppositions, répondit Béchameil. Cinq cent mille livres et ma fiancée !… Car elle m’a dit, monsieur, qu’elle entrerait en religion plutôt que de m’épouser !

À ces derniers mots, prononcés d’une voix plaintive, M. l’intendant royal tira sa montre de son gousset et leva les yeux au ciel.

— Onze heures ! murmura-t-il. Vous verrez qu’au milieu de cette bagarre personne ne se sera occupé du déjeuner !

Il salua Didier à la hâte et se dirigea vers les cuisines.

Didier demeura pensif.

Évidemment M. de Béchameil ne serait pas le seul à l’accuser. Les deniers de l’impôt étaient à sa garde. Pour se disculper, un moyen unique se présentait, c’était de mettre au jour l’infâme conduite d’Hervé de Vaunoy. — Mais Alix ! Alix qui venait de le sauver ! Alix qui l’aimait et qu’il faisait déjà si malheureuse !… Didier repoussa bien loin cette idée et n’en attendit que plus impatiemment le retour du maître de la Tremlays.

Sans y songer, il prit la route de sa chambre. En traversant la cour, une foule d’objets qu’il n’avait point remarqués d’abord frappèrent ses yeux et réveillèrent des souvenirs depuis bien longtemps assoupis. Il croyait reconnaître les sculptures de la façade et les nobles émaux des écussons.

La porte de la chambre était grande ouverte. Il entra.