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toute pensée d’innocence : on s’étonnait presque d’avoir cru à la pudeur.

D’ordinaire, les femmes du monde cachent ce qu’elles aiment, et drapent un voile discret autour de leurs faiblesses. Il y a souvent des prie-Dieu dans les boudoirs, et telle alcôve facile est sanctifiée par une pieuse image. Mais Sara gardait son hypocrisie pour le dehors. Personne, excepté M. de Laurens, n’entrait jamais dans sa chambre ; elle en avait fait un petit sanctuaire, où le gracieux et le lascif se mêlaient en de ravissants caprices.

Les tableaux, peu nombreux et valant leur pesant d’or, représentaient de ces sujets aimables qui font la joie des célibataires, et devant lesquels un éventail féminin se change en écran de lui-même. C’était beau. Le nu frémissait sur ces toiles précieuses ; l’amour s’y étalait, luxurieux ou naïf. Les enchantements chevaleresques y faisaient assaut avec les raffinements de la poésie antique ; Anacréon y donnait la main au chantre d’Armide ; le génie de la peinture érotique semblait avoir effeuillé là toutes ses roses effrontément épanouies.

Alcibiade eût pris cette chambre pour un temple de sa chère Vénus.

De ces tableaux, les plus charmants et ceux qui dévoilaient les plus ardents mystères se suspendaient derrière les rideaux même de l’alcôve. Ils laissaient un espace vide, occupé par une large glace qui tenait la ruelle du lit. Dans cette glace se mirait en ce moment la couverture, soulevée et dessinant vaguement d’admirables contours.

C’était pour elle-même que madame de Laurens avait réuni cet étrange musée ; on ne pouvait l’accuser d’y avoir jamais introduit un homme en fraude des lois conjugales ; et, pourtant, ce n’était pas seulement un goût fantasque ou égaré qui l’avait portée à franchir ainsi audacieusement les limites les plus extrêmes de la réserve féminine. Elle avait des caprices, assurément ; mais, derrière chacun de ces caprices, on devait s’attendre à découvrir un but caché.

Elle avait paré le temple avec réflexion ; c’était quelques années après son mariage, à l’époque où M. de Laurens était jeune et fort.

Car il y avait bien longtemps que durait ce lent assassinat !

Petite avait calculé ses séductions froidement et mis au complet son artillerie d’amour ; sa chambre était la fournaise brûlante où le malheu-