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Elle ne répéta point ce mot qu’un premier mouvement de triomphe lui avait arraché : je t’ai sauvé. Ce sens si sûr, ce tact si exquis, que la nature donne aux filles de la solitude, comme aux grandes coquettes de nos villes, lui enseignait la discrétion ; elle devinait ce que pour un soldat le péril a d’attrait, le devoir de puissance, et n’avait garde de révéler, en ce moment, ce qui venait de se passer au château.

Didier aspirait fortement l’air de la nuit. La fraîcheur vivifiante de l’atmosphère et la force de sa constitution combattaient le malaise que laissait à tous ses membres l’énervante action du narcotique. Néanmoins il souffrait ; son crâne pesait à son cerveau comme un casque de plomb.

— Allons, dit-il en essayant de secouer la torpeur pénible où il restait plongé en dépit de lui-même, — cela m’a tout l’air d’un enlèvement, mais je n’y joue pas le rôle ordinaire des officiers de Sa Majesté… Mettons pied à terre, Marie… Je ne sais… j’ai besoin de repos…

Ils avaient passé les derniers arbres de l’avenue ; et le dôme de la forêt était sur leurs têtes. Marie se laissa glisser de la croupe du cheval et toucha le gazon.

— À merveille ! murmura Didier ; c’est toi qui me sers d’écuyer… Mais où ai-je donc mis mon esprit et ma force ? Soutiens-moi.

Il fit quelques pas en chancelant et s’affaissa au pied d’un arbre où il s’endormit aussitôt. Marie attira le cheval dans le taillis, mit li tête de Didier sur ses genoux et demeura immobile. Il était sauvé ; elle était heureuse, et veillait avec délices sur son sommeil.

Un quart d’heure à peine s’était écoulé, lorsqu’elle entendit un bruit de pas dans le sentier. Elle retint son souffle et vit d’abord quatre hommes dont chacun portait le bras d’une civière, où un cinquième individu était étendu garrotté. Ces quatre hommes marchaient en silence. Ils passèrent.

Puis un sourd fracas retentit dans la direction de la Tremlays, augmentant sans cesse et approchant avec rapidité. Marie, effrayée, traîna le capitaine au plus épais des buissons. Presque au même instant, la cohue des Loups envahit le sentier.

Ils n’allaient plus en silence et tâchant d’étouffer le bruit de leurs pas, comme lorsque le pauvre Jude les avait rencontrés quelques heures auparavant. C’était un désordre, une joie, un vacarme délirants. Ils couraient chantant ou devisant bruyamment. Sur leurs épaules sonnaient gaiement de gros sacs de toile tout pleins des pièces de six livres de M. l’intendant royal. La prise était bonne ; la nuit s’était passée en pillage et en orgie ; c’était fête complète pour les bonnes gens de la forêt.

Nous ne prenons point mission d’excuser le pillage, fussent les coupables nos excellents amis les Loups ; néanmoins, à ceux qui jetteraient à ces pauvres paysans un mépris trop entier ou un blâme trop sévère, nous poserions une simple question : — Avez-vous lu, leur demanderions-nous, les récents débats du comité vinicole (ce mot est burlesque, mais à la mode) ? Avez-vous entendu parler de ces hardies et fortes filles de Rebecca qui se font justice sommaire toutes les nuits dans le pays de Galles ? — Les Rebeccaïtes ressemblent un peu