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inguérissable, mais dépourvue d’espoir, — nous dirions presque exempte de désirs. Par une tendresse instinctivement prévoyante, plutôt que par l’enchainement logique de ses souvenirs et des affreux soupçons qui avaient précédé et amené sa fièvre, elle sentait que Didier était menacé, — et elle venait.

La scène que nous avons mis si longtemps à raconter, dans le chapitre qui précède, n’avait réellement duré que quelques minutes, et lorsque Alix arriva au seuil de la chambre de Didier, le combat avait déjà pris fin.

Elle entra comme nous l’avons dit, en prononçant involontairement et sans le savoir peut-être, le nom qui était incessamment au fond de son cœur.

Le vieux majordome, stupéfait de cette apparition étrange, demeura immobile, et n’eut pas même la force de demander conseil à sa bouteille carrée. Alix, qui avait fait quelques pas sans le voir, l’aperçut enfin, et, de sa main étendue, lui désigna la porte. Le vieillard sortit aussi vite que le lui put permettre le méchant état de ses jambes avinées.

Alix posa son flambeau sur la table et s’assit au pied du lit. — Ses regards s’égaraient dans l’obscurité du corridor, à travers la porte entrebâillée. La fièvre revenait et mettait un voile plus épais sur son esprit.

— Quelle étrange odeur ! dit-elle après quelques secondes de silence, pendant lesquelles son œil n’avait point cherché Didier. — Il règne ici une atmosphère qui suffoque… Pourquoi ces hommes dorment-ils sur le carreau ?… Ils sont heureux de pouvoir dormir !… Moi, je souffre, — jusque dans mes rêves !…

Elle mit la main sur son front, et ses lèvres pâlies se prirent à sourire.

— Didier, murmura-t-elle, vous souvient-il des merveilleux bals de Mgr le comte de Toulouse ? Nous dansions ensemble… toujours. Et cet autre bal… vous n’avez pu l’oublier… chez mon père ?…

Elle s’interrompit et frissonna de la tête aux pieds.

— Toute la nuit, reprit-elle, nous donnâmes nos cœurs à une folle joie… Mais le matin… en sortant… Ils mentent, Didier, ils mentent ! Ce ne fut pas mon père qui dirigea le bras de l’assassin !

— Didier ! mon Didier ! cria dans la cour, sous la fenêtre, la voix de jeune fille que nous avons entendue déjà.

— Didier ! répéta mademoiselle de Vaunoy en faisant effort pour ressaisir sa pensée fugitive ; — oui… je suis venue pour lui… où est-il ?

Elle jeta son regard autour de la chambre et aperçut le capitaine dormant auprès d’elle. Cette vue sembla éclairer soudainement son intelligence.

— Je me souviens, dit-elle, je me souviens !… Il y avait dans les paroles de ce misérable valet une terrible menace. Les assassins vont venir peut-être…

Elle tourna les yeux avec effroi vers la porte, et ses yeux rencontrèrent en chemin, sur le carreau, les trois prétendus dormeurs. En même temps l’odeur du sang vint de nouveau blesser son odorat.

— Ils sont venus, s’écria-t-elle ; est-il blessé ?… Dieu soit loué ! son sommeil est tranquille… Mais qui donc a pu le défendre ?

Elle prit le flambeau et l’approcha successivement des trois cadavres. Elle reconnut Lapierre, lequel gardait, mort, son cynique et insouciant sourire. Elle reconnut aussi l’autre valet.