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seigneur… Oh ! vous m’entendez bien, n’est-ce pas ?… Il y a dans le creux du chêne de la Fosse-aux-Loups un parchemin et de l’or… Tout cela est à vous, Georges Treml… à vous… moi, je suis un mauvais serviteur… je meurs quand vous auriez besoin que je vive… Pardonnez-moi ! pardonnez-moi !…

Ses jambes fléchirent ; il tomba pesamment à la renverse en prononçant une dernière fois le nom idolâtré de son jeune maître.

Didier dormait toujours.

Un silence de mort régna dans la chambre durant quelques minutes. La lanterne, demeurée sur le lit, jetait encore par intervalles de tristes lueurs sur cette scène de désolation.

Tout à coup on entendit un long et retentissant bâillement. L’un des cadavres s’agita et se mit à étirer ses membres, comme on fait après un long sommeil.

Ce cadavre était celui de maître Alain, le majordome, lequel n’avait d’autre blessure qu’un large trou fait à son pourpoint. Le vieux buveur était tombé au choc de Jude, et, moitié par frayeur, moitié par ivresse, il ne s’était point relevé. Or, on sait qu’un homme ivre, si poltron qu’il puisse être, s’endormirait à dix pas de la roue d’une locomotive. Maître Alain s’était endormi.

En s’éveillant, son premier soin fut de donner une marque d’affection à sa bouteille carrée. Il ne se souvenait de rien. Après avoir avalé une ample rasade, il se leva, chancelant, et plus ivre que jamais.

— Pourquoi diable suis-je hors de mon lit ? se demanda-t-il.

Un coup d’œil jeté autour de soi lui rendit la mémoire.

— Ho ! ho ! dit-il ; la bataille est finie… Voici mon vieux compagnon Jude dans l’état où je le désirais… Et ce jeune coquin de Georges Treml ! il dort comme un bienheureux… Ma foi ! je vais achever la besogne…

Il prit son poignard et s’avança laborieusement vers le lit, non sans dire un mot en chemin à sa bouteille, afin de se donner du courage. Au milieu de la chambre il trébucha contre le corps de Lapierre.

— Tiens ! gronda-t-il, le voilà qui dort aussi !… Lapierre ! viens m’aider, mon garçon.

Lapierre n’avait garde de répondre. Maître Alain se pencha sur lui et lui mit le goulot de son flacon carré dans la bouche.

— En veux-tu ? demanda-t-il suivant sa coutume.

L’eau-de-vie se répandit à terre. Maître ALain se releva.

— Il ne boira plus ! dit-il avec solennité.

Au moment où il arrivait à portée du lit, il s’arrêta pour écouter une voix douce, mais éplorée, qui chantait dans la cour, sous la fenêtre, un couplet de la romance d’Arthur de Bretagne.

— Joli moment pour chanter ! murmura-t-il.

La voix s’interrompit et prononça tout bas avec un accent désolé :

— Didier !… mon Didier !

— Présent ! dit en riant le majordome. Allons ! un autre couplet !