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Jude se traîna jusqu’à la lanterne qui, éteinte à demi et oubliée par terre, éclairait d’une lueur faible et intermittente les résultats de cette scène de carnage. Il la prit, ranima sa flamme, et, s’aidant de ses mains, il regagna le lit où Didier, subissant toujours l’effet du narcotique, dormait son léthargique sommeil.

Ce fut avec une peine infinie que le bon écuyer, rassemblant tout ce qui lui restait de force, parvint à se relever. Il s’appuya d’une main sur les matelas, de l’autre dirigea l’âme de la lanterne sur le visage de Didier.

Le capitaine était couché sur le dos, dans la position où l’avaient placé les valets de Vaunoy. Il n’avait point bougé depuis lors. La lumière de la lanterne tomba d’aplomb sur ses traits hardis et réguliers.

Jude se mourait, mais sa joie atteignait au délire. Il contempla un instant Didier endormi. Une extatique allégresse illumina sa simple et honnête physionomie, tandis que deux larmes brûlantes sillonnaient lentement le hâle de ses joues.

— C’est lui, murmura-t-il enfin ; que Dieu le sauve et le bénisse !… Voilà bien le beau front de Treml ! et ces yeux fermés, — je m’en souviens maintenant, — sont bien ceux d’un Breton… hardis et hautains !… Oh ! c’est un beau soldat, que le dernier fils de Treml ! C’est un digne rejeton du vieil arbre… Si je l’avais reconnu plutôt !…

Il prit la main de Didier et se pencha sur elle, ne pouvant la soulever jusqu’à sa lèvre.

— Monseigneur !… mon fils ! poursuivit-il avec une passion si ardente que les dernières gouttes de son sang loyal remontèrent à sa joue, — éveillez-vous afin que je vous salue du vaillant nom de vos pères ! éveillez-vous, enfant de Treml… votre vie sera belle et glorieuse désormais, monsieur Georges…

Il s’arrêta ; son regard exprima une profonde terreur.

— Mon Dieu ! mon Dieu ! cria-t-il d’une voix sourde ; il dort et je vais mourir, emportant son secret, son bonheur… tout ce que Dieu vient de lui rendre !

Un amer désespoir avait remplacé l’allégresse de Jude. Il regardait son jeune maître avec des yeux découragés. La vie l’abandonnait : il le sentait, et c’était pour lui une accablante angoisse que de faire défaut pour ainsi dire au dernier Treml, que de l’abandonner en ce moment suprême, où un seul mot, prononcé et entendu, lui rendait fortune et noblesse.

— Je ne veux pas mourir, reprit-il avec effort ; — ce serait trahison ! Il faut que je vive pour le servir et pour l’aimer… Arrête-toi donc, mon sang : tu es à lui, tout à lui… Je deviens fou ! Notre-Dame de Mi-Forêt, sainte mère du Christ, ayez pitié ! Qu’il s’éveille ! ou que je vive un jour encore ! Sainte-Vierge ! la mort est sur moi… j’ai peur !

Le malheureux vieillard tremblait dans son agonie et avait besoin de ses deux mains pour se retenir aux couvertures du lit. Une minute se passa durant laquelle il souffrit un martyre que nous n’essayerons pas de dépeindre. Puis ses mains glissèrent lentement le long des couvertures.

— Éveille-toi ! éveille-toi ! râla-t-il… — Écoute !… Écoutez-moi, mon aimé