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— Niez-vous encore ? demanda Alix sans daigner répondre.

— À quoi bon ?

— Alors vous ne vous refusez pas à quitter le château ?…

— Si fait !

— Mais, misérable, s’écria mademoiselle de Vaunoy, votre insolence atteint au délire ; ne craignez-vous pas que je vous dénonce à mon père ?

Lapierre éclata de rire. Alix se leva indignée.

— C’en est trop, dit-elle ; dès que mon père sera de retour…

— Qui sait quand votre père reviendra, mademoiselle ? prononça Lapierre à voix basse.

— Que voulez-vous dire ? demanda vivement la jeune fille saisie d’une vague inquiétude.

Lapierre ouvrit la bouche pour parler, mais il se retint et rappela sur sa lèvre son sourire d’insouciante ironie. — Nous sommes tous mortels, dit-il en s’inclinant, et chaque homme est exposé sept fois à périr en un seul jour… voilà tout ce que je voulais vous dire, mademoiselle… Quant à votre menace, elle est faite, n’en parlons plus ; mais gardez, je vous conjure, celles que vous pourriez être tentée de m’adresser à l’avenir… Il est humiliant et pénible de menacer en vain un valet.

— Mais, sur le nom de ma mère ! s’écria Alix que cette longue provocation jetait hors d’elle même, — je ne menace pas en vain. M. de Vaunoy saura tout…

— Changez le temps… Je sais un peu de grammaire. Au lieu du futur, mettez le présent, et vous aurez dit la vérité, mademoiselle.

— Je ne vous comprends pas ! balbutia Alix qui devint pâle et chancela.

— Si fait, mademoiselle, vous me comprenez et parfaitement. Croyez-moi, ne me forcez point à mettre les points sur les i.

— Expliquez-vous ! expliquez-vous !… dit Alix avec effort.

— À votre volonté… Le bon sens exquis qui vous distingue vous avait fait deviner tout d’abord qu’une haine ne pouvait exister entre un honnête garçon tel que moi et un enfant sans père comme est le capitaine Didier… Cette haine, en effet, n’existe pas. Mais le sort a été injuste à mon égard ; je ne suis qu’un valet ; la haine d’autrui peut devenir ma haine, et, pour gagner mes gages, je puis avoir à tirer l’épée comme si je le haïssais réellement…

— Tu mens !… interrompit la jeune fille atterrée.

— Vous savez bien que non. J’ai tué parce qu’on m’a dit : tue…

— Oses-tu bien accuser mon père ? infâme !…

— Moi !… je ne pense pas avoir prononcé le nom respectable de M. Hervé de Vaunoy… Mais, à bon entendeur, salut.

— Tu mens ! tu mens ! répétait Alix dont la tête se perdait.

— Mettons que je mente, mademoiselle, pour peu que cela puisse vous être agréable… Mais, que je mente ou non, si, comme je le crois, vous portez quelque intérêt au capitaine Didier, ne perdez pas votre temps à menacer un homme qui ne peut pas vous craindre… Cet homme, d’ailleurs, n’est que l’instrument : arrêtez le bras ou fléchissez le cœur.