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— Tenez-vous beaucoup à rester an service de M. de Vannoy ? demanda-t-elle avec une sorte de brusquerie.

Un autre se fût peut-être étonné de cette question, mais Lapierre était à l’épreuve.

— Infiniment, mademoiselle, répondit-il.

— C’est fâcheux, reprit Alix qui surmontait son trouble et regagnait sa fermeté accoutumée ; — c’est fâcheux, car j’ai résolu de vous éloigner.

— Vous, mademoiselle ?

— Moi.

— Et m’est-il permis de vous demander ?…

— Non.

Lapierre baissa la tête et sourit dans sa barbe. Alix aperçut ce mouvement, et une rougeur épaisse couvrit son beau front.

— Vous quitterez la Tremlays, poursuivit-elle en refoulant une exclamation de colère méprisante ; — il le faut, je le veux.

— Peste ! murmura ironiquement Lapierre.

— Vous quitterez la Tremlays aujourd’hui, à l’instant.

— Si tôt que cela ?…

— Silence !… si vous vous retirez de bon gré, je payerai votre obéissance. — Alix fit sonner les pièces d’or que contenait la bourse de soie ; — si vous résistez, je vous ferai chasser par mon père.

— Ah ! fit Lapierre avec insouciance.

— Voulez-vous cet or ?

— Oui… mais je veux rester… à moins pourtant que mademoiselle ne daigne me dire, ajouta-t-il d’un ton d’ironie pendable, comment un pauvre diable comme moi a pu s’attirer la haine d’une fille de noble maison… Je suis très curieux de savoir cela.

— De la haine ! répéta Alix, dont tous les traits exprimèrent le plus profond mépris ; — vous perdez le respect… Mais je veux bien vous dire pourquoi voire séjour au château est désormais impossible… Vous êtes un assassin, Lapierre.

— Ah !… fit encore celui-ci sans s’émouvoir le moins du monde.

— Je ne sais pas, poursuivit Alix, ce qu’il put jamais y avoir de commun entre un homme comme vous et le capitaine Didier…

— Nous y voilà ! interrompit Lapierre assez haut pour être entendu.

— Paix, vous dis-je, ou je ferai châtier votre insolence… J’ignore ce qui a pu vous porter à ce crime, mais c’est vous qui avez attendu nuitamment, l’année dernière, le capitaine Didier, dans les rues de Rennes.

— Vous vous trompez, mademoiselle.

Alix tira de son sein la médaille de cuivre que le lecteur connaît déjà.

— Le mensonge est inutile, continua-t-elle, c’est moi qui pansai votre blessure quand on vous ramena à l’hôtel, et je trouvai sur vous cette médaille que je savais appartenir au capitaine Didier… Vous la lui aviez volée croyant sans doute qu’elle était en or.

— Et vous, mademoiselle, repartit Lapierre en souriant, — vous l’avez gardée précieusement depuis ce temps, quoiqu’elle soit de cuivre.