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incessamment couché sur son grabat, miné par la maladie et stupéfié par les progrès lents et sûrs d’une mort trop longtemps attendue. En entrant, Jean lui mit au front un baiser, suivant sa coutume, et le vieillard lui dit : — Je souffre moins, Jean, mon fils…

« Une autre fois, Jean se serait réjoui, car il aimait son père avec ardeur et dévouement, mais il songea aux cavaliers qui sans doute en ce moment galopaient vers la loge, et il frémit de rage et de peur.

« La bourse où se trouvait le reste des pièces d’or de Treml était sur la table Jean n’eut pas l’idée de les cacher. Ce qu’il cacha, ce fut le vieux mousquet dont se servait son père au temps où il était soldat. — Une bonne arme, mon homme, portant loin et juste ! Jean la jeta dans les broussailles, au dehors, avec sa poire à poudre et des balles.

« Puis il revint s’asseoir au chevet de son père.

« Quelques minutes se passèrent. Un bruit sourd retentit au loin sur la mousse des sentiers de la forêt. — Jean comprit que les cavaliers avaient mis pied à terre au delà des fourrés et qu’ils s’avançaient vers le ravin. Il se précipita vers le trou qui servait de croisée, et souleva la serpillière afin de voir au dehors. Il n’attendit pas longtemps. Bientôt le taillis s’agita de l’autre côté du ravin et des hommes parurent. Jean les compta. Il y avait un collecteur, huit soldats et Hervé de Vaunoy.

« Jean les vit gravir péniblement la lèvre du ravin. Puis on frappa rudement à la porte, dont les planches vermoulues craquèrent. Jean alla ouvrir, avant même que l’homme vêtu de noir eût crié son : De par le roi !

« Les soldats entrèrent en tumulte, suivis de Vaunoy, qui resta prudemment près du seuil. Le collecteur tira de son pourpoint une pancarte et lut des mots que Jean ne sut point comprendre. Puis il dit : — Mathieu Blanc, je vous somme de payer cent livres tournois pour tailles présentes et arriérées depuis dix ans.

« Mathieu Blanc s’était retourné sur son grabat, et regardait tous ces hommes armés avec des yeux hagards.

« Le collecteur répéta sa sommation, et les soldats l’appuyèrent en frappant la table du pommeau de leurs épées.

« — J’ai soif, Jean, dit faiblement le vieillard.

« Le cœur de Jean se brisait, car l’agonie se montrait sur les traits flétris de son vieux père. Il voulut prendre le remède qui était sur la table, mais l’un des soldats leva son épée et fit voler le vase en éclats.

« — Qu’il paye d’abord, dit le soldat ; après il boira…

« Vaunoy, qui était sur le seuil, se prit à rire.

« Les dents de Jean étaient serrées à se briser. Il ne pouvait parler, mais il montra du geste sa bourse, et le collecteur s’en empara.

« — Je vous disais bien qu’ils avaient de l’or ! grommela Hervé de Vaunoy qui riait toujours.

« Le collecteur compta quatre louis et demanda les quatre livres qui manquaient.

« — J’ai soif ! murmura Mathieu Blanc, que prenait le râle de la mort.