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aurait mieux fait de se taire… Quoi qu’il en soit, il avait parlé, et Vaunoy n’était pas homme à lui pardonner les bruits sinistres qui commençaient à courir dans le pays. En voyant ce misérable suivi de soldats, Jean Blanc eut une vague frayeur. Il songea à son père, qui gisait seul dans la loge de la Fosse-aux-Loups, et se laissa glisser le long du tronc du châtaignier pour éclairer la marche de la cavalcade.

« La cavalcade s’arrêta non loin d’ici, à la croix de Mi-Forêt. Les soldats s’étendirent sur l’herbe ; la gourde circula de main en main. — Quant aux gens vêtus de noir, ils entourèrent les deux gentilshommes et il se tint une manière de conseil.

« Jean s’approcha tant qu’il put. On parlait : il n’entendait pas. Pourtant, il voulait savoir, car il voyait maintenant, comme je te verrais s’il faisait clair en ma loge, l’hypocrite visage d’Hervé de Vaunoy. Il s’approcha encore ; il s’approcha si près que les soudards du roi auraient pu apercevoir au ras des dernières feuilles les poils blanchâtres de sa joue. — Mais on causait tout bas et Jean Blanc ne put saisir qu’un seul mot.

« Ce mot c’était le nom de son père.

« Jean Blanc se sentit au cœur une angoisse poignante. Le nom de Mathieu Blanc dans la bouche de Vaunoy, en un pareil lieu, c’était la plus terrible des menaces. Jean se jeta sur le ventre et coula entre les tiges de bruyères comme un serpent. Nul ne l’aperçut. Il put entendre.

« Il entendit que les gens vêtus de noir venaient dans la forêt pour dépouiller les loges au nom du roi de Fiance. Les soldats étaient là pour assassiner ceux qui résisteraient. Les gens vêtus de noir se partagèrent la besogne : c’étaient les suppôts de l’intendant royal.

« Le nom du père de Jean avait été prononcé, parce que les collecteurs ne voulaient point se déranger pour un si pauvre homme, mais Vaunoy les avait excités. — Il a de l’or, disait-il ; je le sais, c’est un faux indigent ; sa misère est menteuse. Saint-Dieu ! s’il le faut, je vous accompagnerai dans son bouge. Mais, retenez bien ceci : il a de l’or, et quelques coups de plat d’épée lui feront dire où est caché son pécule.

« Les autres répondirent : — Allons chez Mathieu Blanc.

« Alors Jean se coula de nouveau, inaperçu entre les tiges des bruyères. Une fois sous le couvert, il bondit et s’élança vers la Fosse-aux-Loups.

« Par hasard Vaunoy ne mentait pas. Il y avait de l’or dans la pauvre loge de Mathieu Blanc : quelques pièces d’or, reste de la suprême aumône de Nicolas TremI, quittant pour jamais la Bretagne. »

— Oui, oui, murmura Jude ; en partant, il n’oublia pas son vieux serviteur. Ce fut moi qui jetai la bourse au seuil de la loge.

Pelo Rouan parut ne point prendre garde à cette interruption.

— Lorsque Jean arriva dans la cabane, poursuivit-il, ses forces défaillaient, tant son émotion était navrante. Il avait le pressentiment d’un cruel malheur… Vous connaissiez Mathieu Blanc, ami Jude ; ç’avait été un homme vaillant et fort, mais la vieillesse et la souffrance pesaient un poids trop lourd sur les derniers ours de sa vie. Ce n’était plus, au temps dont je parie, qu’un pauvre vieillard,