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Jean l’écoutait, bouche béante ; il ne comprenait point ; mais un frisson glissait par ses veines.

— Vous êtes bien jeune, poursuivit Fritz, et vous aurez de longues années pour vous souvenir… J’avais votre âge à peu près, et ce ne fut pas moi qui commis le crime… pourtant, le crime est là, comme un poids glacé, sur ma conscience… Je ne vous connais pas, mais j’ai pitié de vous…

Jean restait muet ; quelque chose arrêtait les paroles dans sa gorge.

— Nous retournons là-bas, poursuivit encore Fritz, dont la voix somnolente s’embarrassa. Je reverrai l’Enfer et les broussailles où je retrouvai des lambeaux de son manteau… J’irai le soir à la même heure et par un clair de lune pareil… je m’agenouillerai sous le mélèze, et j’essaierai de prier Dieu, pour voir une bonne fois si je suis damné…

— Mais de quoi parlez-vous ? balbutia Jean.

Fritz déboutonna son vieux paletot et prit une énorme bouteille, recouverte d’osier, qui pendait à sa ceinture. La bouteille contenait de l’eau-de-vie, il but à longs traits.

Quand il eut fini de boire, il tendit le flacon à Jean.

— Faites comme moi, dit-il, si vous avez déjà besoin d’oublier.

Jean repoussa l’offre du geste ; le courrier remit sa bouteille à sa ceinture et se renfonça dans le coin de la rotonde.

Jean était seul de nouveau. Fritz ronflait. Sur l’impériale, les deux voleurs et leurs compagnes chantaient à tue-tête. Leurs voix joyeuses arrivaient jusque dans le silence de la rotonde.

Jean retomba dans sa méditation accablante ; les heures passaient ; le jour baissa ; la nuit vint noire et froide.

L’esprit de Jean était frappé ; des idées sinistres tournaient dans sa pensée et d’effrayants fantômes se couchaient auprès de lui dans l’ombre. Il y avait dans sa famille un pauvre être sans raison ; peut-être son intelligence à lui était-elle moins assurée que celle du commun des hommes. Les chocs répétés qu’il avait subis depuis peu avaient usé sa force, et il sentait ses pensées vaciller en lui, comme la veille, à l’heure folle de l’ivresse.

Il eût donné tout au monde pour avoir un ami à qui demander secours.