Hervé de Vaunoy n’était point, tant s’en fallait, un homme téméraire. La démarche qu’il tentait, et qui l’exposait en réalité à un danger terrible, était, y pour nous servir de l’expression de Lapierre, un coup de partie. C’était une manière de duel à mort où il jouait sa vie contre celle de Didier.
Peut-être, aveuglé par son désir passionné de se défaire du jeune homme, se dissimulait-il une partie du péril ; peut-être comptait-il sur des moyens de réussite dont il avait fait mystère à ses deux aides. Quoi qu’il en soit, sa terreur restait grande, et quiconque l’eût rencontré, tremblant et blême sur son cheval, n’aurait eu garde de le prendre pour un coureur d’aventures.
Bien avant l’heure de son départ, l’ancien écuyer de Nicolas Treml, Jude Leker, avait, comme nous l’avons dit, quitté le château pour se rendre à la demeure de Pelo Rouan, le charbonnier. Jude était arrivé la veille en Bretagne, inquiet, mais plein d’espoir. Au pis aller, Georges Treml, le petit-fils de son seigneur, avait été dépouillé peut-être de son héritage, et Jude avait en main ce qu’il fallait pour le lui rendre.
Maintenant l’inquiétude s’était faite angoisse, et l’espoir chancelait. Mieux eût valu mille fois retrouver l’enfant et perdre le coffret dépositaire de la fortune de Treml. Georges vivant, jeune, fort, vaillant, aurait eu son épée pour soutenir sa querelle ; Georges mort ou absent, il ne restait qu’un vain droit. Le coffret, c’est-à-dire l’immense domaine de Treml, était sans maître légitime, et le dévouement de Jude, cet amour soumis, patient, plein d’abnégation, que vingt années d’exil n’avaient pu entamer, était désormais sans but.
Il y avait bien encore la vengeance, ce suprême mobile des gens qui n’espèrent plus. Mais Jude était vieux. Sa loyale nature comportait plus d’amour que de haine. La vengeance, qui a tant d’attrait pour certaines âmes, lui apparaissait comme une inutile et triste compensation.
— Je chercherai, se dit-il en retrouvant son chemin dans les sentiers connus de la forêt ; je chercherai longtemps, toujours. Si j’acquiers la preuve de sa mort, et je prie Dieu d’épargner cette douleur à ma vieillesse, j’irai vers son assassin et je le tuerai au nom de Nicolas Treml.
Il ne pouvait taire un pas dans ces routes tortueuses et sombres, tant de fois parcourues jadis, sans rencontrer un souvenir. C’était par ce sentier que le vieux maître de la Tremlays avait coutume de chevaucher lorsqu’il se rendait avec son petit-fils à son beau manoir de Bouëxis ; à ce détour, Job, le magnifique et