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siècle, la morale était peu chevaleresque. Aimer deux femmes semblait péché véniel, sinon acte méritoire. Certes, Didier n’était point en cela de son siècle. Son caractère franc et loyal repoussait toute idée de tromperie, mais il avait vingt-cinq ans, et le cœur est si large à cet âge ! t prit la main d’Alix qu’il porta galamment à ses lèvres.

— Ce que j’écrivais alors, dit-il, je le ressens toujours. Est-ce donc que vous auriez changé, Alix ? — Moi ! répondit-elle avec une naïve surprise. Non… ce n’est pas moi qui ai changé, monsieur.

Ce fut Didier qui baissa les yeux à son tour.

— Écoutez, reprit mademoiselle de Vaunoy dont un mélancolique sourire éclaira le front pâle : il vaut mieux que cela soit ainsi. C’étaient de folles amours que les nôtres, Didier. Quand je vous ai retrouvé hier, froid, indifférent, oublieux, j’ai remercié Dieu, car votre oubli est un bonheur pour tous deux.

— Je ne vous comprends pas, balbutia le capitaine ; cet oubli prétendu…

— Il est réel… bien réel ! Je le veux, je l’espère.

— Vous l’espérez, Alix ? dit amèrement le jeune homme.

— Oui, répéta mademoiselle de Vaunoy, dont le cœur se brisait, mais qui garda son sourire, — je l’espère.

Si elle eût parlé ainsi à dessein et dans un but de coquetterie, nous devrions lui décerner un brevet de suprême habileté. Ce mot, en effet, descendu jusqu’au fond du cœur de Didier et alla remuer ce qui restait des cendres d’un amour presque éteint. Il releva ses yeux brillants d’impatience et interrogea la jeune fille du regard. Ce regard était plein de dépit, de désappointement et a d’espoir. C’était un regard d’amant. Mais mademoiselle de Vaunoy, qui pouvait bien être coquette à l’occasion, comme l’est toute fille d’Ève, ne songeait guère à jouer un rôle en ce moment.

— Ce papier renferme bien des folies, reprit-elle en montrant du doigt la lettre que Didier tenait encore à la main ; nous étions deux enfants… Le temps a passé sur tout cela, et le temps emporte tout, jusqu’au souvenir… Ne m’interrompez plus, Didier. Je sais ce que vous allez dire. Ma vue a fait vibrer en vous une corde qui se taisait depuis bien longtemps. Vous êtes ému, et, prenant votre émotion pour de l’amour, vous êtes prêt à renouveler vos serments d’autrefois. Moi, je ne puis ni ne veux les écouter. — Mais, Alix, au nom de Dieu, croyez-moi ! s’écria le capitaine ; mon cœur n’a point changé… — C’est une belle jeune fille ! interrompit mademoiselle de Vaunoy, dont la voix trembla légèrement. Son regard est pur comme le regard d’un ange. Elle a seize ans ; elle vous aime ;… si vous ne l’aimiez pas, Didier, la pauvre enfant serait bien malheureuse !

Alix s’arrêta pour respirer avec effort. Le capitaine froissait la lettre avec un dépit distrait et boudeur.

— Mais vous l’aimez, poursuivit Alix, vous l’aimez, n’est-ce pas ?

— Qui ? prononça faiblement Didier qui commençait à comprendre.

— Son nom est sur votre lèvre comme il est dans votre cœur… Tant mieux, je suis contente !