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traîtres. On a vu des soldats de la maréchaussée dans la forêt, et peut-être en ce moment même des yeux ennemis interrogent les profondeurs de ce ravin. La moindre imprudence peut livrer le secret de notre retraite… prenez garde !

Le charbonnier prononça ces mots d’une voix brève et impérieuse. Les deux Loups répondirent humblement ;

— Maître, nous veillerons.

Pelo Rouan ôta les deux pistolets qui pendaient à sa ceinture, et les cacha sous ses vêtements.

— Je vais au château, continua-t-il, afin d’apprendre ce que nous devons craindre des gens du roi. Je reviendrai cette nuit.

À ces mots, il gravit la montée d’un pas rapide, et disparut derrière les arbres de la forêt.

— Le Loup Blanc et le diable ! murmura l’une des sentinelles ; il n’y a qu’eux deux pour courir ainsi… Guyot ?

— Francin ?

— J’aurais pourtant voulu voir là-bas dans le creux du chêne

— Moi aussi… Mais… Je m’entends.

— C’est la vérité ! Quand il a parlé, ça suffit.

En conséquence de quoi les deux Loups se résignèrent à faire bonne garde.

Jude Leker traversa le taillis d’un pas plus leste et le cœur plus content que la première fois. Une de ses inquiétudes était au moins calmée et il avait désormais en main de quoi racheter les riches domaines de la maison de Treml.

Marie et Didier l’entendirent arriver de loin. Il y avait plus de deux heures qu’ils étaient ensemble ; mais le temps leur avait semblé si court ! Ce fut à grand regret que Marie se leva.

— Au revoir, dit-elle ; tu ne me quitteras plus, n’est-ce pas ?

— Jamais, répondit le capitaine dans un baiser.

Le taillis s’ouvrit. Jude se montra ; — Didier était seul.

— Tu n’as pas perdu de temps, mon garçon, dit gaiment ce dernier… Je ne t’attendais pas si vite.

Jude prit cela pour un reproche adressé à sa lenteur, et se confondit en excuses.

— Allons ! s’écria le capitaine qui sauta en selle sans toucher l’étrier, j’aurai dormi, sans doute, et fait un beau rêve, car je veux mourir si j’étais pressé de te voir arriver… À propos, et le trésor de Treml ?

— Dieu l’a tenu en sa garde, répondit Jude.

— Tant mieux !… Au château, maintenant ! à moins qu’il ne te reste quelque mystérieuse expédition à accomplir.

Il est rare qu’un Breton de la vieille roche sympathise complètement avec cette gaîté insouciante et communicative qui est le fond du caractère français. Cette recrudescence soudaine de gaillardise mit l’honnête Jude à la gêne, d’antant puisqu’il était occupé lui-même de pensées graves. Il suivit quelque temps en silence le jeune capitaine qui fredonnait et semblait vouloir passer en revue tous les ponts-neufs anciens et nouveaux, chantés au théâtre de la foire. Enfin, Jude poussa son cheval et prit la parole.