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— Pelo Rouan n’a jamais menti, poursuivit Marie. J’eus peur… Mais te voilà ; mon père s’est trompé : n’est-ce pas que tu m’aimes ?

Il serait superflu de transcrire la réponse de Didier. — Le temps passait. Ils restaient l’un près de l’autre, les bras enlacés, échangeant de ces mots que les amoureux savent et qui n’ont point de sens sur le papier.

Pendant cela Jude Leker essayait de trouver son chemin dans le taillis. Il eut d’abord grand’peine à s’orienter, car nul sentier ne traversait l’épaisseur du fourré ; mais au bout d’une centaine de pas, il vit avec surprise qu’une multitude de petites routes se croisaient en tous sens et semblaient néanmoins converger vers un centre commun.

Il suivit un de ces sentiers, et arriva bientôt au bord de ce sauvage ravin que nous connaissons déjà sous le nom de la Fosse-aux-Loups. À part ces routes masquées, qui n’existaient point autrefois et qui annonçaient très-positivement le voisinage d’une nombreuse réunion d’hommes, rien n’était changé dans le sombre aspect du paysage. La même solitude semblait régner aux alentours.

Jude descendit, en se retenant aux branches, les bords du ravin et atteignit le fond où s’élevait le chêne creux. La physionomie du bon écuyer était triste et grave ; il songeait sans doute que la dernière fois qu’il avait visité ce lieu, c’était en compagnie de son maître défunt. Il songeait aussi que le creux du chêne pouvait avoir été dépositaire infidèle, et que la fortune de Treml avait été mise entière entre ces noueuses racines qui déchiraient le sol.

Avant de pénétrer dans l’intérieur de l’arbre, Jude examina soigneusement les alentours ; il fouilla du regard chaque buisson, chaque touffe de bruyère, et dut se convaincre qu’il était bien seul.

Cet examen lui fit découvrir, derrière l’une des tours en ruines, un monceau de décombres, à la place où s’élevait jadis la cabane de Mathieu Blanc.

— C’étaient de bons serviteurs de Treml, murmura-t-il en se découvrant ; que Dieu ait leur âme !

Dans l’intérieur de l’arbre, il trouva quelques débris de cercles, et presque tous les ustensiles de Jean Blanc, mais rouilles et dans un état qui ne permettait point de croire qu’on s’en fût servi depuis peu.

Jude saisit une pioche et se mit aussitôt en besogne.

Pendant qu’il travaillait, un imperceptible mouvement se fit dans les buissons, et deux têtes d’hommes, masqués à l’aide d’un fragment de peau de loup, se montrèrent. Une troisième tête, masquée de blanc, sortit au même instant d’une haute touffe d’ajoncs qui touchait presque le chêne où travaillait Jude.

Les trois hommes, porteurs de ce déguisement étrange, échangèrent rapidement un signe d’intelligence. Celui du masque blanc fut un ordre, sans doute, car les deux autres rentrèrent immédiatement dans leurs cachettes.

Le masque blanc se coucha sans bruit à plat ventre et se prit à ramper vers l’arbre. Il franchit lentement la distance qui l’en séparait, puis il se dressa de manière à fourrer sa tête dans l’une des ouvertures que le temps avait pratiquées au tronc creux du vieux chêne.