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ignorance, et par un reste de cette chevaleresque poésie qui a fleuri si longtemps sur la terre de Bretagne, on choisissait pour désigner Marie les noms des plus charmantes fleurs. Les jeunes gens de la forêt parlaient d’elle d’autant plus souvent que son existence était plus mystérieuse. À la longue, la coutume effeuilla cette guirlande de jolis sobriquets. Un seul resta, qui faisait allusion à la couleur des cheveux de Marie : on l’appela Fleur-des-Genêts.

Pelo Rouan laissait à sa fille une liberté entière, dont celle-ci usait tout naturellement et comme on respire, sans savoir qu’il en pût être autrement. D’ailleurs, le charbonnier, quand même il l’aurait voulu, n’aurait point pu surveiller fort attentivement la jeune fille ; car il faisait de longues et fréquentes absences. Le motif de ces absences était un secret, même pour Marie. Parfois, durant des semaines, le four de Pelo Rouan restait froid ; mais quand il revenait, il travaillait le double et réparait le temps perdu.

Personne n’était admis dans la loge. On venait chercher Pelo Rouan de temps en temps la nuit. Dans ces circonstances, ceux qui avaient besoin du charbonnier, — pour des causes que nous ne saurions dire, — frappaient à la porte d’une certaine façon. Pelo sortait. Marie, habituée à ce manège, ne prenait pas garde.

Un jour pourtant, en l’absence de Pelo Rouan, un étranger avait franchi le seuil de la loge inhospitalière : c’était un beau jeune homme, et Fleur-des-Genêts n’eut pas peur. Son cœur battit bien fort ; un rouge brûlant remplaça le délicat coloris de sa joue ; mais la loge paternelle lui sembla tout d’un coup moins enfumée, les arbres plus verts, le ciel plus brillant au travers des éclaircies du feuillage. Elle se sentit vivre davantage et mieux.

Depuis ce jour, ses vagabondes promenades eurent un but : elle rencontrait le bel étranger qui lui mettait un baiser sur la joue et s’asseyait près d’elle au pied d’un chêne. Les chevreuils seuls ou quelque renard espionneur auraient pu dire le sujet de leurs longs entretiens ; mais le bonhomme La Fontaine était mort, et les bêtes ne savaient déjà plus parler. Cela dura quelques mois, puis l’étranger partit, laissant son souvenir au cœur de Marie, qu’il avait gardée pure comme s’il eût été un frère.

Une fois l’étranger parti, les gens de la forêt revirent Fleur-des-Genêts dans les taillis. Elle allait au hasard, la tête penchée, l’œil rêveur, et chantait bien mélancoliquement la complainte d’Arthur de Bretagne.

Pelo Rouan ne lui demandait point la cause de sa tristesse, parce qu’il l’avait devinée.

Cependant la veillée continuait dans la cuisine du château de la Tremlays. Après avoir porté le toast qui ouvre ce chapitre, Pelo prit son bâton, comme l’avait annoncé la vieille femme de charge ; mais, au lieu de partir, il secoua lentement sa pipe, et se planta, le dos au feu, en face de maître Simonnet.

— Et… sait-on son nom ? dit-il en jouant l’indifférence.

— Le nom de qui ?

— Du nouveau capitaine.

— Notre monsieur le sait peut-être, répondit Simonnet.