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allées, Marie faisait comme les biches ; elle se cachait dans les buissons. Jamais un des galants gentillâtres du pays n’avait pu l’approcher d’assez près pour l’appeler mignonne, en lui prenant le menton, — comme font tous les gentillâtres, depuis l’antiquité la plus reculée ; — jamais elle ne mettait de fromages dans un panier verni pour le porter au château, avec des pommes, des œufs et de la crème, comme cela se pratique encore de nos jours, au théâtre de l’Opéra-Comique ; elle ne dansait ni sur la fougère, ni même sous la coudrette ; en un mot, ce n’était en aucune façon une rosière de madame de Genlis, mirant ses pudiques attraits dans le cristal des fontaines, ni une ingénue de M. de Marmontel, raisonnant sur Dieu, la nature et le reste. C’était une fille de la forêt, simple, pure, demi-sauvage, mais portant en soi le germe de tout ce qui est noble, gracieux, poétique et bon.

L’expression générale de son visage était un mélange d’exquise gentillesse et de sensibilité exaltée. Elle avait de grands yeux bleus pensifs et doux, dom le sourire échauffait l’âme comme un rayon de soleil. Sa joue pâle s’encadrait d’un double flot de boucles dorées, molles, flexibles, élastiques, qui ondoyaient à chaque mouvement de tête, et se jouaient sur ses épaules modestement couvertes. La nuance de cette chevelure eût embarrassé un peintre, parce que les couleurs dont peut disposer l’art humain sont parfois impuissantes. Cette nuance, dans un tableau, semblerait terne ; ses candides reflets affadiraient le regard ; elle ne repousserait point assez la blancheur de la peau ; mais cela prouve seulement que l’homme n’a su dérober que la moitié de la palette céleste. Chez Marie, c’était un charme de plus, ses traits fins, mais hardiment modelés, apparaissaient suaves et comme voilés sous cette indécise auréole. Cela faisait l’effet de ce nuage mystique, aux rayons naïvement adoucis que les peintres du moyen âge donnaient pour ornement au front divin de la mère de Dieu. Marie était comme son père, elle aimait la solitude. Lorsqu’elle ne restait point dans la loge, occupée à tresser des paniers de chèvrefeuille que Pelo Rouan vendait aux foires de Saint-Aubin-du-Cormier, Marie errait, seule et rêveuse, dans les sentiers perdus de la forêt.

Souvent le voyageur s’arrêtait pour écouter une voix pure et semblable à la voix des anges, qui chantait la complainte d’Arthur de Bretagne, dont nous avons parlé dans la première partie de ce récit. Ceux qui se souvenaient du pauvre Jean Blanc songeaient à lui en entendant sa romance favorite ; la plupart savouraient la musique sans évoquer la mémoire de l’albinos, car bien d’autres que lui répétaient ce refrain qui berce les enfants dans toutes les loges du pays de Rennes. Du reste, on entendait toujours Marie comme on écoute le rossignol, sans la voir. Dès qu’elle apercevait un étranger, son instinct de timidité sauvage la portait à fuir. On voyait le taillis s’agiter comme au passage d’un faon, puis plus rien. Marie était alerte et vive. On eût couru longtemps avant de l’atteindre.

Quelques-uns cependant l’avaient vue, et le bruit de sa beauté sans rivale s’était répandu dans le pays. On ne savait point son nom, car Pelo Rouan ne souffrait guère de questions, surtout lorsqu’il s’agissait de sa fille, et Marie devenait muette dès qu’un homme lui adressait la parole. À cause de cette