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Afin de ne point faire défaut à la galanterie française, nous parlerons d’abord des femmes ; sur cette escabelle à trois pieds et si près du feu que la pointe de ses sabots se charbonne, est assise la dame Goton Rehou, femme de charge de la Tremlays. Elle eut, si l’on en croit la chronique de la forêt, une jeunesse joyeuse ; mais cela date de quarante ans, et, à l’heure qu’il est, elle fume une pipe courte, noircie par un long usage, avec toute la gravité qui convient à une matrone de son importance.

Auprès d’elle, et s’éloignant graduellement du foyer, siègent les servantes du château : la fille de basse-cour, la pigeonnière, la trayeuse de vaches, et même la femme de chambre de mademoiselle Alix de Vaunoy. Cette dernière déroge sans nul doute en semblable compagnie ; mais il faut tuer le temps ; et Yvon, le valet des chiens, est ce qu’on appelle un bel homme.

De l’autre côté de la cheminée sont rangés les garçons.

C’est d’abord André, le garde ; Simonnet, le maître du pressoir ; d’autres encore dont l’énumération serait longue et superflue.

Sous le manteau de la cheminée, et juste en face de la dame Goton Réhou, est assis un homme de la forêt, hôte de la Tremlays pour quelques heures. Cet homme mérite une description particulière.

Il est charbonnier, cela se voit. Une couche épaisse de noir couvre son visage, et s’éclaircit seulement quelque peu aux angles saillants de la face, comme il arrive aux masques de bronze. Ses yeux, dont la paupière est enflammée, semblent craindre l’éclat ardent du foyer, et s’abritent derrière sa large main noircie. Il est, du reste, vêtu comme les gens de la forêt : bonnet de laine mêlée, veste longue en forme de paletot échancré, culottes courtes, bas bleus et souliers à boucles de fer.

Il est de taille problématique. Assis, il semble petit, mais lorsqu’il se lève pour saisir un pichet et boire à même, ses longues jambes l’exhaussent tout à coup. Dans l’habitude de son corps il y a plus de souplesse que de force. Quant à son âge, nul ne saurait le dire. Depuis quinze ans, le charbonnier Pelo Rouan court la forêt. Tel on l’a vu la première fois, tel on le voit encore.

Nos personnages ainsi posés, nous écouterons leur conversation, car nous sommes fort dépaysés dans ce château où nous n’avons pas mis le pied depuis vingt ans.

Renée, la fille de chambre de mademoiselle Alix de Vaunoy, cause tout bas avec le bel Yvon, lequel raccommode son fouet, et tresse une coulisse (mèche), que Mirault, Gerfault, Renault, etc., sentiront plus d’une fois sur leurs flancs savamment amaigris. André, le garde, frotte d’huile le ressort de son fusil à pierre. Corentin taille galamment un battoir pour Anne, la surintendante des vaches ; l’entretien n’a rien encore de général.

Mais six heures ont sonné à la cloche fêlée du beffroi. Le vieux Simonnet, maître du pressoir, a écorché dévotement les versets de l’Angelus. Un silence de quelques minutes s’est fait, pendant lequel les uns ont prié et les autres ont fait semblant.

Quand ce silence eut duré suffisamment à son gré, dame Goton fit un signe de croix final et secoua les cendres de sa pipe avec précaution.