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IX
L’ETANG DE LA TREMLAYS.


Il y avait six mois que Nicolas Treml était parti. Personne ne savait en Bretagne ce qu’il était devenu. Les gens de la forêt le regrettaient parce qu’il était bon maître, et priaient Dieu pour le repos de son âme.

Un soir d’automne, Hervé de Vaunoy jeta sa canardière sur son épaule et prit le petit Georges par la main. En cet équipage, il se dirigea vers l’étang de la Trenilays, Job marchait sur ses talons ; il suivait Georges. De temps en temps, Hervé de Vaunoy regardait du coin de l’œil le fidèle animal et ce regard annonçait des dispositions qui n’étaient rien moins que bienveillantes.

Georges courait dans l’herbe ou cueillait les fleurs d’or des genêts. Ses cheveux blonds flottaient au vent du soir. Il était gracieux et charmant comme la joie de l’enfance.

L’étang de la Tremlays est situé à l’ouest et à un quart de lieue du château. Sa forme est celle d’un vaste trapèze dont trois côtés appuient leurs bordures d’aunes à de grands taillis, tandis que le quatrième, coupé en talus escarpé, porte à son sommet un bouquet de futaie. Du point central de ce talus, qui surplombe par suite d’éboulements anciens, s’élance presque horizontalement le tronc robuste et rabougri d’un chêne noir dont les longues branches pendent au-dessus de l’eau et couvrent le quart de la largeur de l’étang.

C’est vis-à-vis de ce chêne et à quelques toises de ses dernières branches, que la pièce d’eau atteint sa plus grande profondeur. Le reste est fond de vase où croissent des moissons de joncs et de roseaux que peuplent, vers le commencement de l’hiver, des myriades d’oiseaux aquatiques.

Sur la rive occidentale de l’étang de la Tremlays, s’assied maintenant une petite bourgade avec chapelle et moulin ; mais à l’époque où se passe notre histoire, ce lieu était complètement désert, et il était bien rare qu’un passant vînt troubler les silencieux ébats de ses sarcelles ou de ses tanches.

M. de Vaunoy ouvrit les cadenas d’un petit bateau, plaça Georges sur l’un des bancs, et quitta la rive. Job, sans y être invité, franchit d’un bond la distance et s’installa aux pieds de l’enfant.

Après quelques coups de rames qui le portèrent au milieu de l’étang, M. de Vaunoy arma sa canardière et jeta autour de soi un regard de chasseur novice. Un plongeon montra sa tête noire entre les roseaux ; Hervé fit feu.

Le bruit du coup fit tressaillir Job ; l’odeur de la poudre dilata ses narines.