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Jean s’était avancé imprudemment, parce que, à son insu, il éprouvait une consolation triste à prolonger ses adieux. Le rouge lui monta au front : il ne pouvait ni ne voulait répondre.

Il balbutia quelques mots inintelligibles, jeta un dernier regard à Gertraud, et descendit l’escalier en courant.

La jeune fille l’appela d’une voix épuisée. Comme il ne revenait point, elle descendit l’escalier à son tour, et s’élança sur ses traces jusqu’au bout de l’allée.

Au bout de l’allée, elle rencontra l’idiot Geignolet qui s’en revenait à la maison : la foule, ennuyée de le porter en triomphe, l’avait jeté contre une borne et ne songeait plus à lui.

L’idiot rentrait, heureux et fier comme un roi.

— As-tu vu passer ton frère ? demanda Gertraud.

— Ils m’ont porté, répondit l’idiot avec emphase, porté par dessus leurs têtes, tout autour de la place… Ils criaient : vive Geignolet !… tout le monde a entendu cela !

— As-tu vu ton frère ? répéta Gertraud en lui secouant le bras.

— Ne me touchez pas ! s’écria l’idiot avec un geste d’empereur, ou bien je vais leur dire de vous battre… ils font tout ce que je veux !

— Geignolet, mon petit Geignolet ! répéta encore Gertraud ; je te donnerai de l’argent. As-tu vu passer ton frère ?

Au mot argent, l’idiot dressa l’oreille.

— Oui, répliqua-t-il en montrant le bâtiment de la Rotonde, je l’ai vu ; il est là.

— Eh bien, cours après lui, mon petit Joseph !… suis-le partout… tâche de savoir où il va… et, si tu peux me le dire, je te donnerai des sous plein tes deux mains !

Geignolet arrondit ses deux mains, longues et difformes, de manière à figurer une sorte de récipient dont il mesura de l’œil la capacité.

— Ce sera bon, grommela-t-il, en attendant que j’aie les jaunets… On y va !

Il se prit à courir, en dégingandant son corps étique, et disparut dans la foule qui emplissait encore le marché.

Gertraud rentra dans l’allée, et s’appuya, défaillante, contre le mur.