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raient maintenant l’austère visage du vieillard, et prenaient parti pour sa barbe blanche.

— Eh bien ! reprit encore Nicolas Treml, dont l’œil s’allumait d’indignation, — régent de France, vous ne répondez pas !

Un silence profond suivit ces paroles. Chacun eut le pressentiment d’un événement extraordinaire. Au moment où le régent ouvrait la bouche pour ordonner définitivement à ses gentilshommes d’écarter le vieux Breton, celui-ci le prévint et se tourna vers son écuyer.

— Fais ranger ces hommes ! dit-il froidement.

Jude poussa son robuste cheval au milieu du flot des courtisans qui, refoulés avec une irrésistible vigueur, se rejetèrent à droite et à gauche.

Durant une seconde, — une seule, — Philippe d’Orléans et Nicolas Treml se trouvèrent face à face. Ce court espace de temps suffit au vieillard qui, levant son massif gant de buffle, en frappa le régent de France en plein visage, et cria d’une voix retentissante :

— Pour la Bretagne !

Trente épées menacèrent au même instant sa poitrine. Les dames purent s’évanouir. Le dénouement surpassait toute, attente.

En recevant ce sanglant outrage, Philippe d’Orléans avait pâli. Il mit l’épée à la main comme le dernier de ses gentilshommes et se précipita vers l’agresseur.

Mais il s’arrêta en chemin. La colère avait peu de prise sur cette nature où la tête dominait complètement le cœur. Il revint vers madame de Carnavalet, qui faisait semblant d’être morte, et eut l’air de la secourir.

Pendant cela un combat inégal, et dont l’issue ne pouvait rester douteuse, s’était engagé entre les deux Bretons et la suite de Son Altesse Royale. Les gentilshommes français, qui, pour être fort dissolus, avaient néanmoins gardé leur générosité native, essayaient de désarmer leurs adversaires et non point de les tuer. Au bout de quelques minutes, Nicolas Treml, renversé de cheval, fut pris et lié à un arbre.

Il ne prononça plus une parole, et resta, tête haute, devant son vainqueur.

Jude avait encore son épée. Il était entouré de tous côtés, mais non pas vaincu.

M. de la Tremlays, jugeant inutile de prolonger la bataille, lui fit de loin un signe. Aussitôt Jude jeta son arme au pied de ses adversaires, qui s’emparèrent de lui sur-le-champ.

À ce moment, une douleur amère et soudaine se refléta sur les traits du vieux gentilhomme qui, jusqu’alors, avait gardé l’apparence d’un calme stoïque. Un souvenir venait de traverser son âme : il avait vu Georges qui souriait dans son berceau.

Jusqu’à cette heure, son extravagant espoir l’avait soutenu. Il avait cru forcer le régent à descendre dans l’arène et à jouer contre lui, l’épée à la main, les destinées de la Bretagne. Il avait compté sur l’insulte suprême, pensant que les princes, gentilshommes avant tout, ne savaient point venger un outrage autrement que par le jugement de Dieu. Maintenant il comprenait. La fièvre était passée. Comme il arrive toujours après une défaite, mille pensées sinistres se pressaient