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Par extraordinaire, Philippe d’Orléans n’avait point pris place dans son carrosse. Il essayait un magnifique cheval que lui avait envoyé la reine Anne d’Angleterre, présent qu’il appréciait surtout à cause de son origine britannique, car le régent était Anglais de cœur.

Tous les historiens s’accordent à dire que Philippe d’Orléans avait un fort beau visage ; ses portraits d’ailleurs en font foi. Lorsqu’il voulait bien mettre de côté ses allures abandonnées et ses façons de roué en goguette, on reconnaissait en lui le descendant des rois, et il pouvait faire figure de prince. Ce jour-là, se trouvant d’humeur gaillarde, il se mit en selle avec aisance, et tout aussitôt la cavalcade s’ébranla.

Entre la sauvage forêt de Rennes et les massifs artistement percés de Villers-Cotterets, il y avait plein contraste. C’étaient bien encore ici de grands bois à l’opaque ombrage, des chênes haut lancés, des couverts à égarer une armée ; mais la main de l’homme se faisait partout sentir. Il fait bon pour une terre être domaine de prince. Lorsque la main du maître peut ne point ménager l’or, la nature se façonne et s’embellit sans rien perdre de son agreste splendeur. Tantôt les larges allées se déroulaient en méandres capricieux et ménagés comme à plaisir, tantôt elles alignaient à perte de vue leurs doubles rangées de troncs sveltes et semblaient une immense colonnade supportant une voûte de verdure. Entre les deux paysages, il faut le dire, l’avantage ne restait point à la Bretagne. La forêt de Retz fourmille de sites admirables. En descendant les ombreux sentiers qui mènent à la vallée, on songe au paradis terrestre ; lorsqu’on regagne les hauteurs, l’horizon s’étend et acquiert cette largeur qui manque presque toujours aux paysages bretons. Et d’ailleurs, la pauvre forêt de Rennes ne saurait opposer que quelques gentilhommières inconnues, ou le clocher ignoré d’une église de village, au royal château bâti par les Valois et à la noble abbaye de Prémontré.

Il y avait une heure que la cavalcade avait quitté l’avenue de Villers-Cotterets ; elle avançait lentement : les gentilshommes caracolaient aux portières des carrosses qui roulaient sans bruit sur le gazon des allées. Philippe d’Orléans causait avec madame de Carnavalet, qui regardait le beau M. de Nancré par l’autre portière.

Tout à coup, à un détour de la route, deux cavaliers apparurent et se posèrent au milieu du chemin, de manière à barrer le passage. C’étaient deux hommes de haute taille et d’athlétique carrure. Leur costume, qui ne ressemblait en rien à celui de l’époque, était gris de poussière. Le plus vieux de ces deux inconnus se tourna vers un paysan monté sur un bidet qui lui servait de guide et se tenait à distance respectueuse, et lui demanda tout haut :

— Lequel de ces gens est le duc d’Orléans ?

Le paysan montra du doigt le prince et s’enfuit.

L’inconnu poussa droit au régent, qui recula instinctivement et porta la main à son épée. Les courtisans, un instant paralysés par la surprise, se jetèrent au-devant de leur maître. Madame de Carnavalet, qui avait d’abord songé à s’évanouir, reprit ses sens afin de bien voir.

— Qui êtes-vous ? demanda le régent après le premier moment de silence.