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VII
LA FORÊT DE VILLERS-COTTERETS.


La magnifique maison de plaisance du régent Philippe d’Orléans avait ce jour-là un aspect plus joyeux encore que d’habitude. On voyait les palefreniers s’empresser autour des carrosses attelés. Les chevaux de selle piaffaient et se démenaient comme pour appeler leurs maîtres, et toute une armée de pages, coureurs et laquais à galantes livrées, encombrait les abords du perron.

Le régent était encore à table. Ce prince, dont l’interrègne a fourni tant de vaudevilles grivois et de romans de bas lieu, n’avait point les royales mœurs de ses aînés de Bourbon. Entre les goûts fastueux de Louis XIV il avait fait un mesquin triage, et bornait ses passions à deux : la table et le boudoir. Sa cour sentait l’orgie ; il y avait des taches de vin sur les dentelles de ses favoris, et c’est peut-être le seul prince qui soit réellement à sa place sur les planches mal fréquentées de nos petits théâtres. Louis XV eut les défauts que chacun sait ; mais du moins l’ivresse ne le fit jamais trébucher et choir dans le ruisseau.

La régence fut un bon temps pour le gibier des forêts de la couronne. Philippe d’Orléans ne chassait guère et préférait de beaucoup, pour cause, les moelleux coussins d’un carrosse au crin et au cuir de la selle. Ses promenades avaient lieu d’ordinaire après boire, et dans ces occasions il avait, le plus souvent, grand besoin d’un dossier.

Il faut que toute chose finisse. Le repas eut un terme. Courtisans et belles dames descendirent, à flots de velours et de satin, le grand perron du château. Tous étaient, comme on peut le croire, en merveilleuse humeur. Il n’y avait pas une bouche rose qui ne s’épanouît dans un provoquant sourire, pas une perruque poudrée qui n’oscillât complaisamment, tandis que son propriétaire grasseyait un bon mot ou décochait une déclaration érotique en baisant un gant parfumé. C’était un délicieux caquetage, un pêle-mêle adorable de marquises entre deux vins et de vicomtes sautés au madère. Les collerettes étaient bien quelque peu fripées, les jabots froissés, les coiffures dérangées, mais la morale restait sauve néanmoins, puisque le révérend Guillaume Dubois, abbé d’une foule d’abbayes et qu’on proclamait déjà cardinal en expectative, sanctifiait par sa présence cette aimable cérémonie.

Madame de Carnavalet, qui avait l’honneur d’être distinguée par le régent depuis trois fois vingt-quatre heures, monta la première en carrosse. Ce fut le signal. Les équipages s’émaillèrent de charmants visages, les chevaux de selle dansèrent sous leurs cavaliers, et la grande porte de la cour s’ouvrit.