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par un grognement sourd et prolongé. Ensuite il quitta le coussin où il avait passé la nuit, et vint se placer entre son maître et Hervé, sur lequel il fixa ses yeux fauves. Vaunoy tressaillit et recula instinctivement.

— Le chien et l’idiot ! pensa le vieillard qui n’était pas pour rien Breton de bonne race, et gardait au fond de son cœur cette corde qui vibre si aisément dans les poitrines armoricaines, la superstition.

Il hésita durant une seconde, et fut tenté peut-être de serrer le parchemin ; mais la voix de ce qu’il appelait son devoir le poussait en avant. Il écarta du pied Job avec rudesse et remit l’acte entre les mains de Vaunoy.

— Dieu vous voit, dit-il, et Dieu punit les traîtres. Vous voici souverain maître de la destinée de Treml.

Le chien, comme s’il eût compris ce que ces paroles avaient de solennel, s’affaissa sur son coussin en hurlant plaintivement.

— Et maintenant, monsieur de Vaunoy, reprit Nicolas Treml, non par défiance de vous, mais parce que tout homme est mortel et que vous pourriez quitter ce monde sans avoir le temps de vous reconnaître, je vous demande une garantie. — Tout ce que vous voudrez, mon cousin. — Écrivez donc, dit le vieillard en lui désignant la table où l’attendaient encre, plume et parchemins.

Vaunoy s’assit, Treml dicta :

« Moi, Hervé de Vaunoy, je m’engage à remettre le domaine de la Tremlays, celui de Bouexis-en-Forèt et leurs dépendances à tout descendant direct de Nicolas Treml qui me représentera cet écrit… »

— Monsieur mon cousin, interrompit Vaunoy, ceci pourrait donner des armes au fisc. Si vous êtes condamné comme coupable de lèse-majesté, cet acte sera naturellement suspect… — Continuez toujours :

… Cet écrit, accompagné de la somme de cent mille livres, prix de la vente desdits domaines et dépendances. » — Comme cela, monsieur, le fisc n’aura rien à reprendre. Cent mille livres forment un prix sérieux quoique bien au-dessous de la valeur des domaines…

Vaunoy demeura pensif. Au bout de quelques secondes, il déplia le parchemin que lui avait remis d’abord M. de la Tremlays. C’était un acte de vente en due forme. La ligne de ses sourcils, qui s’était légèrement plissée, se détendit tout à coup à sa vue. — Allons, dit-il, tout est pour le mieux, puisque telle est votre volonté… Dieu m’est témoin que je souhaite du fond du cœur que ces paperasses deviennent bientôt inutiles par votre heureux retour. — Souhaitez-le, mon cousin, dit le vieillard en hochant la tête, mais ne l’espérez pas… Veuillez signer et parapher votre engagement.

Vaunoy signa et parapha. Puis chacun des deux cousins mit son parchemin dans sa poche.

— Je pense, reprit Vaunoy après un long silence pendant lequel Nicolas Treml s’était replongé dans sa rêverie, je pense que ces préparatifs n’annoncent point un départ subit.

Il pensait tout le contraire et ne se trompait point.

Sa voix éveilla en sursaut M. de la Tremlays qui se leva, repoussa violemment son siège et passa la main sur son front avec une sorte d’égarement.