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III

LE DÉPOT.

Nicolas Treml ne dormit point cette nuit-là. Le lendemain avant le jour, il entendit dans la cour le pas du cheval de Jude. Presque au même instant la porte de sa chambre s’ouvrit, et Hervé de Vaunoy parut sur le seuil. Il n’avait plus cet air humble et craintif dont nous l’avons vu s’affubler en entrant au château pour la première fois. Son sourire s’épanouissait maintenant, joyeux, sur sa lèvre. Il portait le front haut et affectait les dehors d’une franchise brusque, à peine tempérée par un affectueux respect.

— Saint-Dieu ! dit-il en arrivant, vous êtes matinal, monsieur mon très-cher cousin. J’étais encore à mon premier somme, lorsque…

Il s’arrêta tout à coup en apercevant le sévère et pâle visage de Nicolas Treml, dont l’œil perçant tombait d’aplomb sur son œil, et semblait vouloir descendre jusqu’au fond de sa conscience.

— Qu’y a-t-il ? murmura-t-il avec un volontaire effroi.

Nicolas Treml lui montra du doigt un siège ; il s’assit.

— Hervé, dit le vieux gentilhomme d’une voix lente, tristement accentuée, lorsque Dieu m’a repris mon fils, vous étiez un pauvre homme ; faible, vous souteniez une lutte inégale contre moi qui suis fort.

— Vous avez été généreux, mon noble cousin, interrompit Vaunoy qui se sentait venir une vague inquiétude.

— Serez-vous reconnaissant ? reprit le vieillard.

Vaunoy se leva et saisit sa main qu’il porta vivement à ses lèvres.

— Saint-Dieu ! monsieur, s’écria-t-il, je suis à vous corps et âme !

Nicolas Treml fut quelque temps avant de reprendre la parole. Son regard ne se détachait point de Vaunoy.

— Je vous crois, dit-il enfin ; je veux vous croire… Aussi bien, il n’est plus temps d’hésiter ; ma résolution est prise. Écoutez.

M. de la Tremlays s’assit auprès de Vaunoy et poursuivit :

— Je vais partir pour ne point revenir peut-être… Ne m’interrompez pas… Ma route sera longue, et au bout de la route je trouverai un abime. La Providence peut me faire surmonter ce danger certain et redoutable ; mais la Providence protége-t-elle encore le pays breton ? Mon espoir est faible, et ma forme croyance est que je vais à la mort.

— À la mort ! répéta Vaunoy sans comprendre.

— À la mort, s’écria le vieillard, dont un sublime enthousiasme illumina le