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lemment. Dans un coin, le petit Georges, âgé de quatre ans alors, jouait sur les genoux de sa nourrice. On annonça Hervé de Vaunoy.

Le vieux seigneur se tourna lentement vers le nouveau venu, et le chien, se dressant sur ses quatre pattes, poussa un sourd grognement.

— Paix, Job ! dit M. de la Tremlays.

Le chien se recoucha sans quitter des yeux le seuil où Hervé se tenait découvert et respectueusement incliné. M. de la Tremlays continuait d’examiner ce dernier en silence. Au bout de quelques minutes, il parut prendre tout à coup une résolution et se leva.

— Approchez, monsieur mon cousin, dit-il avec une brusque courtoisie ; vous êtes le bienvenu au château de nos communs ancêtres.

Hervé ne put retenir un tressaillement de joie, en voyant sa parenté, à laquelle il ne croyait guère lui-même, si tôt et si aisément reconnue. Sur un geste du vieux seigneur, il prit place sous le manteau de la cheminée.

L’entrevue fut courte et décisive.

— J’espère, monsieur de Vaunoy, dit Nicolas Treml, que vous êtes un vrai Breton ?

— Oui, Saint-Dieu ! mon cousin, répondit Hervé, un vrai Breton.

— Déterminé à donner sa vie pour le bien de la duché ?

— Sa Vie et son sang, monsieur de la Tremlays !… ses os et sa chair ! — Détestant la France ! — Saint-Dieu ! abhorrant la France, monsieur mon digne parent.

— À la bonne heure ! s’écria Nicolas Treml enchanté. Touchez là, Vaunoy, mon ami. Nous nous entendrons à merveille, et mon petit-fils Georges aura un père en cas de malheur.

Hervé fut installé le soir même au château de la Tremlays, et, depuis lors, il ne le quitta plus. Georges lui était spécialement confié, et nous devons reconnaître qu’il affectait en toute occasion pour l’enfant une tendresse extraordinaire.

Les choses restèrent ainsi durant dix-huit mois. M. de la Tremlays prenait Hervé en confiance. Il le regardait comme un excellent et loyal parent. Les commensaux du château faisaient comme le maître, et Vaunoy avait l’estime de tout le monde. Il n’y avait que deux personnages auprès desquels il n’avait point su trouver grâce : le premier et le plus considérable était Job, le chien favori de Nicolas Treml ; le second n’était autre que Jean Blanc, l’albinos. Chaque fois que Vaunoy entrait au salon, Job fixait sur lui ses rondes prunelles et grognait dans ses soies jusqu’à ce que M. de la Tremlays lui eût imposé péremptoirement silence. Vaunoy avait beau le flatter, il perdait sa peine. Job, en bon breton qu’il était, avait la tête dure et ne changeait point volontiers de sentiment. M. de la Tremlays s’étonnait souvent de l’aversion que Job montrait à son cousin ; cela lui donnait même parfois à réfléchir, car il tenait Job pour un chien perspicace, prudent et de bon conseil. Mais Vaunoy, d’autre part, était si humble, si serviable, si dévoué ! Et puis, Saint-Dieu ! il détestait si cordialement la France ! Le moyen de concevoir des soupçons sérieux contre un homme qui abhorrait M. le régent ? Quant à Jean Blanc, sa haine était beaucoup moins redoutable.