Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/429

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en lui, à cette heure, quelque chose d’austère et de solennel. Esther et Abel demeuraient immobiles et muets. Sara, haussant les épaules avec raillerie devant la malédiction paternelle, voulut se retourner vers sa fille. Mais l’enfant, qui n’avait rien appris, avait la science du cœur. Elle sentait ce qu’il y avait d’horrible dans cette fille reniant son père. La blessure qui venait de frapper Mosès Geld fit saigner le cœur de madame de Laurens, à son tour. Elle vit son enfant qui la fuyait avec effroi et dégoût. À ce coup, et pour la première fois sa conscience parla ; on la vit devenir pâle, et son regard eut un voile. Sans savoir, elle murmura ce qu’avait dit son père :

— Ma fille ! c’était pour toi !

Elle était au milieu de la chambre, seule et comme abandonnée. En ce moment, la porte s’ouvrit et la dernière personne mandée par le baron de Rodach entra. C’était l’agent de change Léon de Laurens, qui traversa la chambre a pas lents et vint se placer à côté de sa femme. Il lui toucha l’épaule du doigt. Sara se retourna. Un instant ils demeurèrent, muets et face à face ; leurs prunelles se choquaient. Monsieur de Laurens n’était plus le même homme. Son visage était sévère. Il avait l’air d’un maître et d’un juge. Sara essaya d’abord de soutenir son regard, puis sa paupière se baissa.

— Madame, lui dit l’agent de change, je ne vous aime plus.

Il y avait dans ces paroles tout un avenir de châtiment terrible.

Les invités de Géidberg se disaient, en traversant les corridors du château, que l’hospitalité de leurs amphitryons était prodigue. Le dernier acte de la fête devait être la chasse aux flambeaux terminée, voilà qu’on annonçait encore autre chose ! Il s’agissait d’une cérémonie solennelle ; on parlait d’un fils de Bluthaupt retrouvé. Un vrai roman ! Les portes de la chambre de Franz étaient toutes grandes ouvertes, et les hôtes de Geldberg y entraient en foule. Le jeune M. Abel disait à haute et intelligible voix :

— Notre vénéré père a enfin trouvé ce qu’il cherchait depuis si longtemps, le fils de Gunther de Bluthaupt, son bienfaiteur et son ami !

Franz était debout sur l’estrade, devant le lit. Autour de lui, les anciens tenanciers de sa famille, qu’on avait introduits au château, s’age-