Il le prit dans sa poche. Les forces et la présence d’esprit lui revenaient à la fois. Il était beaucoup plus vigoureux que le joueur d’orgue, et tandis que celui-ci lorgnait avidement le billet, il eut un instant la pensée d’user de représailles.
Mais il se contint, parce que son intérêt parlait plus que sa rancune.
— Tu m’as caressé rudement, mon garçon, dit-il avec un sourire contraint ; mais je crois que tu es encore un peu ivre, et je ne t’en veux pas.
— Donnez… donnez ! s’écria Jean qui bouillait d’impatience.
Johann le repoussa d’un effort vigoureux.
— Minute, mon petit ! reprit-il ; il n’est plus temps de jouer des mains, et si je te donne les mille francs, c’est que ça me conviendra… posons nos faits !
Jean fit le geste de s’élancer de nouveau.
— La paix ! dit Johann froidement, ou je te casse la tête contre le pilier !
Tout en parlant, il s’était emparé des deux bras du joueur d’orgue, qui craquaient sous son étreinte.
Jean, réduit à l’impuissance, se débattait en grinçant des dents.
— Calme-toi, mon petit, poursuivit Johann ; tu vas avoir ton argent, nous sommes d’accord… seulement, je veux te dire que, dans une heure, je t’attendrai ici pour te conduire à la voiture… tu pars à midi pour l’Allemagne.
— Si tôt !… murmura Jean.
— C’est comme ça… Refuses-tu ?
— J’accepte… mais donnez, donnez !…
Johann tendit le billet ; mais au moment où le joueur allait le saisir, il le retira une seconde fois.
— Pas de bêtise ! reprit-il encore en fronçant le sourcil et d’une voix plus basse ; rien ne me répond de toi, sinon ton serment… j’en veux un bon.
— Je jurerai tout ce que vous voudrez ! s’écria Jean, qui se démenait avec folie.
— Tu aimais bien ton père, dit Johann en le regardant fixement ; promets-moi de partir dans une heure, par la mémoire de ton père !