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Johann, la face violette et les yeux gonflés déjà, ne se défendait plus. Jean serrait, serrait de toute sa force.

En un moment où les bavardages de la foule faisait une courte trêve, Jean crut entendre la voix plaintive de son aïeule ; son regard quitta Johann, pour s’élancer dans la direction du fiacre.

Il vit, au milieu d’un cercle de têtes agitées qui allaient se rétrécissant, l’aïeule dont les doigts roidis se cramponnaient aux vêtements des recors.

Johann se ressentit de cette vue ; ses yeux s’enflèrent pleins de sang et sa langue pendit hors de ses lèvres bleues…

Une minute de plus et la menace de mort eût été accomplie. Mais Jean lâcha prise soudain et mit ses deux mains sur les épaules du cabaretier.

Il n’y avait plus de courroux sur son visage. Parmi le trouble de son cerveau, une idée nouvelle avait surgi et dominait tout le reste.

Tandis que Johann reprenait haleine péniblement, le joueur d’orgue fixait sur lui ses yeux brillants et soudainement agrandis.

— Voisin Johann, dit-il en composant son air et son accent avec une sorte de naïve diplomatie, si je vous promets d’aller là-bas, me donnerez-vous de quoi sauver ma grand’mère ?

Johann, saisi à l’improviste, n’avait pu opposer aucune résistance ; il eût accepté des conditions bien plus dures. Il fit un signe de tête affirmatif.

— Eh bien ! voisin Johann, reprit Jean, qui le tenait toujours solidement appuyé contre la colonne, j’irai !… Le diable est le plus fort… Sur ma parole sacrée, j’irai !

— Est-elle partie ? demanda Johann, qui était comme enchaîné au pilier et ne pouvait plus voir.

Sa voix était rauque, étouffée, à peine intelligible.

Les marques des doigts de Jean restaient autour de son cou.

— Non ! non ! voisin Johann, s’écria le jeune homme ; elle n’est pas partie… Si elle était partie, vous seriez bien près, vous, de descendre en enfer.

Ses sourcils se froncèrent, et il ajouta rudement :

— Le marché est fait : payez !

Johann avait sur lui le billet de banque que le chevalier de Reinhold lui avait donné la veille au soir comme arrhes de leurs conventions.