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esprit. Malgré l’âge, elle avait conservé des restes de sa beauté froide et blonde. Jusqu’à ce moment, on avait vu briller sous son masque un teint fleuri comme celui d’une jeune femme : elle était si heureuse de l’opulent mariage de son fils ! la joie lui était vingt ans. Les premières paroles de son mystérieux interlocuteur la secouèrent brusquement ; elle devint toute pâle.

— Qui êtes-vous ? demanda-t-elle avec trouble.

— Qu’importe cela ! répondit le troisième Homme Rouge ; je suis une voix qui vous parle de votre famille assassinée.

La vicomtesse eut un tressaillement, mais sa tête se redressa hautaine, elle voulait combattre. Son accent prit une teinte de raillerie.

— On m’a glissé déjà quelques chapitres de cet absurde roman, dit-elle ; vous venez de la part de mes frères ?

— Je viens de la part de votre père, madame, répliqua l’Homme Rouge, dont la voix se fit plus lente et plus solennelle, le comte Ulrich de Bluthaupt, de votre sœur la comtesse Margarethe et de votre mari Raymond d’Audemer, tous trois morts par le crime !

La vicomtesse essaya un geste de dédain ; mais son front se baissa, tandis que sa joue redevenait pourpre. Elle fut obligée de s’appuyer au dossier d’un fauteuil.

— Laissez-moi, monsieur, murmura-t-elle ; je vous en prie, laissez-moi !…

— Pardieu ! disait pendant cela le premier Homme Rouge, qui tenait toujours le bras de Franz, mon jeune gaillard, si vous étiez resté mort dans quelque coin des bois de Geldberg, vous ne l’auriez vraiment pas volé !

— Bah ! interrompit Franz, votre histoire est vieille, et je la sais sur le bout du doigt.

— Présomptueux et fou ! grommela l’Homme Rouge ; il tient de famille !… Du diable ! mon beau fils, ajouta-t-il tout haut, on m’avait bien dit que vous ne doutiez de rien !… En attendant, vous donniez du fil à retordre à ceux qui veillaient sur vous.

— Qui donc a le droit de veiller sur moi ? demanda Franz d’un air mutin.