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les Geldberg, qui avaient intérêt à faire disparaître toute trace de ce moment de trouble, redoublaient d’entrain et de gaieté. Le vieux Moïse s’était retiré. Personne n’en pouvait manifester aucune surprise, puisque ces exhibitions solennelles que la famille faisait de son chef étaient toujours aussi courtes que rares. Abel, Esther, Sara semblaient se multiplier pour plaire à chacun. Le chevalier de Reinhold reculait littéralement les bornes de l’amabilité ; il n’y avait pas jusqu’au docteur Mira lui-même qui ne fît des efforts assez malheureux pour être charmant.

Comme nous l’avons dit, le bal avait pour prétexte les fiançailles de la seconde fille de Mosès Geld, la belle comtesse Lampion, avec le jeune vicomte Julien d’Audemer. Le mariage devait avoir lieu à Paris, dans quelques semaines. On en était aux compliments officiels. On en faisait à la vicomtesse, à Julien, à Esther ; tout le monde trouvait l’union admirablement assortie ; et les beaux-fils du commerce transcendant qui parlent volontiers noblesse, les aveugles parlent bien des couleurs ! disaient des balivernes sur la bonté des deux familles. La vicomtesse recevait les compliments d’un visage radieux. Ce mariage était un de ses rêves les plus chers ; elle ne se sentait pas de joie. Elle aurait bien voulu voir aussi avancée l’union de Denise avec le chevalier de Reinhold. Mais les jeunes filles !… les jeunes filles !… La danse reprenait plus vive ; quelques masques tombaient, montrant çà et là de jolis visages, allanguis par la fatigue du plaisir. Le bal arrivait à ce moment attendu où les plus froids s’animent et où l’abandon gracieux double la beauté des femmes. Il y avait comme une brise enivrée au-dessus de cette foule en joie. Les toilettes se mêlaient en un resplendissant chaos ; les paroles vives et gaies se croisaient ; l’orchestre jetait parmi tout ce mouvement sa voix leste et entraînante. C’était partout du rire ou de la rêverie ; ici de la gaieté, là des soupirs novices ; l’aveu timide de Chérubin, don Juan avec son audace éternellement heureuse ; un peu d’amour partout.

Esther et Sara étaient encore ensemble ; Esther venait d’avouer à sa sœur que Julien avait pris sur elle, dans ces derniers temps, un empire absolu, et que de ce mariage dépendait le bonheur de sa vie. Petite félicitait et raillait à la fois. En réalité, Petite était jalouse de ce bonheur qui semblait si sûr et si proche. Elles venaient d’échanger leurs confi-