Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/350

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chez qui dînait souvent Ficelle, resplendissait en odalisque. Mais on ne voyait au bras de ces dames ni Mirelune, ni Ficelle.

En revanche, on apercevait de temps à autre, tantôt ici, tantôt là, un groupe qui faisait grande sensation dans le bal. Ce groupe voulait évidemment représenter la tradition superstitieuse qui restait présente à tous les esprits. Il était composé de trois hommes se tenant par le bras et drapés dans de longs manteaux rouges. Ils rappelaient assez exactement cette apparition étrange que les invités avaient vue la nuit du feu d’artifice ; le bruit courait qu’ils étaient, eux-mêmes, cette apparition. Aussi, à leur approche, les femmes éprouvaient des frémissements pleins de charme. Ils étaient tous les trois de tailles inégales ; les deux plus grands marchaient d’un pas délibéré ; le troisième semblait embarrassé dans son costume, qu’il portait pourtant avec la vaniteuse solennité d’un paon qui fait la roue. On s’évertuait dans la salle à reconnaître ces trois hommes, et personne n’y pouvait parvenir.

Il y avait déjà bien une heure que le bal était entré dans sa plus brillante période, l’orchestre se taisait et il se faisait dans la foule une sorte de silence, accompagné d’une agitation curieuse. Chacun voulait voir et s’approcher. C’était un événement. Le vieux monsieur de Geldberg, seul démasqué au milieu de ces mille visages uniformément couverts de loups de velours, venait de faire son entrée. Depuis le commencement de la fête, il ne s’était montré que bien rarement et à des occasions choisies. On ne le prodiguait point ; à de longs intervalles on l’exhibait comme un saint dans une châsse, et on l’offrait à la vénération de tous. Bien ménagées, ces exhibitions faisaient un effet énorme et donnaient à la famille une couleur toute patriarcale. C’était encore une source de crédit. Ce soir, le vieux Moïse montrant à tous ses cheveux blancs et son front respectable, traversait lentement la salle, appuyé sur les bras de ses deux filles aînées. On chuchotait sur son passage, on prononçait tout bas des paroles de louange : que c’était bien là le type de l’honnête homme arrivé doucement au soir de sa vie ! Et comme il était récompensé !… Y avait-il au monde ? une famille plus vertueuse et meilleure que la sienne ? ces deux jeunes femmes, à la beauté parlaite, qui appuyaient son grand âge, c’étaient ses filles ; cette enfant jolie comme un ange, qui le suivait au