Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/344

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sures pour envenimer sa haine. Elle se représentait ces taches sinistres qu’elle avait comptées sur le corps de son enfant ; — elle se répétait ce mot qui tuait ses espoirs et qui couronnait le long crime de sa vie par un châtiment terrible :

Poitrinaire !…

Et son courroux grandissait sourdement, malgré le défaut de résistance. Elle parvenait à chasser la pitié de son âme endurcie ; elle frappait sans honte ni fatigue, comme si la lutte eût excusé l’obstination de sa rage.

— Restez ! répéta-t-elle, — il faut que vous sachiez tout aujourd’hui… Vous êtes ruiné, monsieur ; à l’heure qu’il est, vos créanciers font vendre votre charge, peut-être… Eh bien ! moi, je suis riche à plusieurs millions… et les tribunaux ne peuvent rien à cela, soyez sûr ; j’ai consulté, je sais la loi ! Ma fortune est aussi bien hors de votre portée, que si je l’avais enfouie à cent pieds sous terre !

Laurens avait passé longtemps pour un des négociants les plus honorables de Paris. Malgré sa conduite irréprochable, il avait vu son crédit tomber de jour en jour. Sara ne lui apprenait rien ; il savait que sa ruine venait d’elle. Il était commerçant, et fils de commerçant, et la faillite, pour un homme dans sa position, c’est plus que la ruine, c’est le déshonneur. Il souffrait tant que cette pensée ne pouvait pas augmenter beaucoup sa détresse ; — cependant Sara put constater sur ses traits des convulsions plus marquées ; il s’appuya de la main au bois de lit de Judith.

— C’est pour elle, monsieur, reprit Sara, dont l’œil tourné vers l’enfant était plein de caresses, toute cette fortune que j’ai amassée à vos dépens, elle est pour ma fille, qui n’est point la vôtre… Ma haine pour vous, c’est mon amour pour elle… N’est-il pas temps que les rôles changent ? Hier, vous aviez une maison dont vous lui fermiez durement la porte ; demain, elle aura un palais : viendrez-vous nous y demander asile ?

L’agent de change s’appuya plus fortement à la colonne du lit. Sa crise le prenait, il luttait déjà contre le mal victorieux. Ce que lui disait maintenant Sara irritait de plus en plusses nerfs en révolte ; mais le coup principal avait porté au moment où elle s’était démasquée brusquement pour déchirer à deux mains, en quelque sorte, ce cœur malade qu’elle venait de chauffer jusqu’au délire et à l’extase.