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— Du mal ?… Oh ! oui, j’ai été bien à plaindre !… Mais la faute en était-elle à vous, Sara ?… C’est moi qui n’ai pas su me faire aimer.

— Pauvre Léon ! reprit l’enchanteresse en lui touchant doucement les cheveux ; vous êtes beau pourtant !… Où avais-je les yeux et que vous manque-t-il pour plaire ?

Laurens ne savait si ses oreilles ne le trompaient point ; était-ce une illusion ? Il craignait de s’éveiller.

Sara pencha vers lui sa tête souriante.

— Mon Dieu ! reprit-elle, vous êtes jeune… et nous aurions de beaux jours pour réparer la tristesse oubliée.

— Oh !… soupira l’agent de change, si Dieu me donnait ce bonheur !

— Se connaît-on soi-même, poursuivit Sara avec des inflexions de voix molles et comme balancées ; sait-on ce qu’on a tout au fond de son âme ?… Je m’interroge souvent et ma conscience ne veut pas me répondre… Je lui demande si je vous hais ou si je vous aime, Léon.

La terreur et l’espoir passaient tour à tour sur le visage de Laurens. Sara poursuivit encore, et son accent était plus rêveur :

— La femme est un être étrange !… nous frappons parfois notre idole, Léon… que sais-je ? Il est en moi une voix qui prononce votre nom bien souvent…

Son regard, voilé, parlait de tendresse ; Laurens était ivre.

— Et si je vous aimais ? demanda-t-elle en mettant son front jusque sous la lèvre de son mari.

— Mon Dieu !… mon Dieu ! murmura l’agent de change en extase.

Sara souriait ; sa prunelle, allanguie, semblait mendier un baiser. L’agent de change se pencha lentement, lentement, sa bouche s’arrondit ; il allait oser… Sara souriait toujours ; mais au moment où les lèvres de Léon touchaient son front incliné, elle se dressa sur ses pieds comme un ressort d’acier qui se détend. Elle était debout devant son mari qui ne la reconnaissait plus, tant sa physionomie s’était soudain transformée. Son sourire s’imprégnait de raillerie méchante et cruelle, ses yeux étaient fixes et durs, tout en elle peignait la haine froide, longue, impitoyable.

— Fou que vous êtes ! dit-elle, vous ne vous souvenez donc plus ?…