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— Je l’ai bien vu, moi, reprit Sara, et c’est vous qui m’avez empêchée d’en voir davantage.

Ses doigts froissaient la couverture avec une sorte d’envie.

— On est enfant quand on aime bien, pensa-t-elle tout haut ; je voudrais regarder son petit cou blanc !… ses bras nus qui doivent être roses !… Je ne l’ai jamais vue, moi, ma fille !

Elle fit le geste de soulever la couverture.

Batailleur se précipita au-devant d’elle pour l’en empêcher.

— Y pensez-vous, chère madame ? dit-elle, il fait froid, et l’enfant est en sueur !

— Froid, répliqua Sara ; d’où vient donc que je brûle, moi qui suis demi-nue ?… Il faut si peu de temps, d’ailleurs, pour glisser un regard !…

Batailleur appuyait ses deux mains sur la couverture que madame de Laurens voulait toujours soulever.

— Laissez, dit cette dernière avec un commencement d’impatience, laissez, ma bonne !

La marchande ne bougea pas.

Les sourcils de Sara se froncèrent légèrement et son œil exprima une nuance d’inquiétude.

— Laissez ! répéta-t-elle d’un ton plus impérieux.

Et comme la marchande n’obéissait point encore, elle ajouta d’une voix déjà changée :

— Vous me feriez croire à un malheur… Laissez, vous dis-je !

— Écoutez, murmura Batailleur, quand les enfants ont comme ça la fièvre… il ne faut pas… que sais-je ?…

Sa phrase s’acheva en un bourdonnement confus.

Sara lui ordonna une dernière fois de lâcher prise.

Batailleur n’osa plus résister, mais elle joignit les mains en balbutiant machinalement :

— Je vous en prie… croyez-moi… ne regardez pas !…

C’était souffler le feu pour l’éteindre.

D’un geste violent, Sara souleva la couverture qui retomba l’instant d’après, parce que sa main paralysée ne pouvait plus la tenir.