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Jean avait fini son explication ; il ne parla même pas de la scène de la maison de jeu et de cette colère délirante qui l’avait saisi en reconnaissant, dans l’homme qui lui enlevait son or, l’amant prétendu de Gertraud.

Cette colère avait passé ; c’était la jalousie seule qui avait entraîné son bras.

— On m’a conduit ici, ajouta-t-il seulement avec une sorte de calme qui étonna Gertraud, et l’on m’a mis en main cette barre de fer… je vous l’ai dit, j’aurais mieux aimé mourir que de tuer… Mais c’était lui, je l’ai reconnu !… il y avait si longtemps que je souffrais !…

» Je ne sais ce qui s’est passé en moi, et je me fais horreur quand j’y songe…

Il s’arrêta encore ; son front se releva ; il regarda en face la jeune fille, qui se sentit trembler.

— Vous êtes bonne, Gertraud, reprit-il ; quand je serai mort, je suis sûr que vous me pardonnerez… Je vous laisse mes deux mères à consoler… la pauvre aïeule est bien vieille ; ne lui dites pas pourquoi je suis mort !

Gertraud ouvrit la bouche ; sa voix s’étouffa dans son gosier.

Elle ne put que saisir la main de Jean.

Celui-ci l’attira sur son sein et la baisa au front comme une sœur.

Puis il se dégagea de son étreinte et fit le signe de la croix.

— Adieu ! dit-il en marchant d’un pas ferme vers le bord de la plateforme.

Ce fut pour la jeune fille un moment d’angoisse que nulle parole ne saurait peindre.

Elle n’avait qu’un mot à dire pour arrêter Jean, et sa gorge étranglée refusait passage à toute parole.

Elle ne pouvait pas même s’élancer pour le retenir.

Elle était comme pétrifiée.

Durant une seconde, elle souffrit mille fois la mort ; elle s’efforçait avec désespoir, et ses facultés paralysées la clouaient, muette et immobile, à sa place.

Jean allait se précipiter ; elle voyait la résolution farouche peinte sur son visage, un instant encore, et il allait être trop tard !