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À regarder cette énorme pierre, on croyait voir de loin la tête d’un géant grossièrement sculptée.

Elle était noire au milieu des autres rochers, auxquels la mousse qui les recouvrait donnait une teinte blanchâtre.

Les gens du pays lai avaient donné un nom ; elle s’appelait la Tête-du-Nègre.

Les jours de grande tempête, quand le vent soufflait du haut de la montagne, on avait vu plus d’une fois, au dire des gens du village, l’énorme pierre trembler sur sa base étroite.

Mais le vent avait beau faire rage, elle était là depuis le commencement du monde, et bien qu’elle chancelât toujours, ni tempêtes ni tremblements de terre n’avaient pu déranger son menaçant équilibre.

Au moment où Franz achevait son histoire de brigands, les yeux de Gertraud, qui s’étaient tournés par hasard vers la Tête-du-Nègre, prirent tout à coup une expression étonnée.

Du côté où le rocher faisait ombre aux rayons du soleil levant, elle avait cru apercevoir la silhouette d’un homme, tranchant sur le ciel bleu.

Ce fut l’affaire d’une seconde.

Comme elle essayait de voir mieux, la silhouette disparut, perdue derrière le rocher.

Gertraud crut s’être trompée.

— Est-ce tout ?… dit le marchand d’habits qui semblait faire maintenant contre fortune bon cœur.

Le regard de Gertraud s’attacha de nouveau sur Franz ; elle ne songeait plus à cette espèce de fantôme qui venait de se montrer auprès de la roche noire.

— Ma foi, répondit le jeune homme, je crois que je suis à peu près au bout de mon rouleau… Voyons donc, reprit-il en comptant sur ses doigts : le fleuret déboutonné, le fusil crevé, la blessure à l’épaule, les brigands… il me semble pourtant que j’ai eu d’autres aventures !

Il fouilla sa mémoire, et garda le silence durant quelques secondes.

— Des bagatelles ! poursuivit-il, de pures bagatelles !… et, malgré vos prétentions, père Dorn, vous ne pourrez pas voir là autre chose que du hasard… Je suis fort mauvais cavalier ; à la première promenade que nous