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au bal Favart, et qui l’avait tant ému quelques semaines auparavant.

Il se souvenait de cet avertissement étrange qui accusait le chevalier de Reinhold du meurtre de son père, et qui, lacéré par hasard, laissait planer des soupçons graves sur la famille de sa fiancée. Il avait relu le billet plus d’une fois, et il savait par cœur ces paroles effrayantes :

« Ta sœur va épouser l’assassin de ton père, et toi la fille de… »

Il se souvenait encore des doutes qui l’avaient assailli le lendemain du bal de l’Opéra-Comique, lorsqu’il avait cru reconnaître, après coup, la comtesse Esther dans sa belle compagne de la veille.

Mais Julien joignait à un cœur franc et facile un esprit faible ; il aimait Esther, et il employait tous ses efforts à éloigner ces gênants souvenirs.

Tout ce qu’il avait pu faire, c’était de remplir sa promesse à l’égard des trois bâtards de Bluthaupt, ses oncles. Il avait dit : Je les verrai ; je saurai ce qu’ils savent sur la mort de mon père.

En se rendant de Paris en Allemagne, il s’était arrêté, en effet, dans la ville libre de Francfort-sur-le-Mein. Il avait demandé l’autorisation de pénétrer auprès des trois frères ; mais les trois frères étaient au secret, et l’autorisation lui fut péremptoirement refusée.

Pour d’autres motifs, madame de Laurens, le docteur Mira et le chevalier de Reinhold, en passant à Francfort-sur-le-Mein, demandèrent aussi à voir les trois bâtards de Bluthaupt.

Un doute vague s’était éveillé déjà dans leur esprit, peut-être, et ils voulaient s’assurer par eux-mêmes…

Ils ne furent pas beaucoup plus heureux que le jeune vicomte Julien. Cependant, grâce à l’influence qu’ils avaient gardée en Allemagne, ils pénétrèrent jusque dans l’intérieur de la prison, dont ils purent admirer la tenue excellente.

De mémoire de geôlier, personne ne s’était évadé jamais de la prison de Francfort.

Sara, le docteur et Reinhold, comptèrent les guichetiers et mesurèrent d’un œil intéressé la belle épaisseur des murailles.

De corridor en corridor, maître Blasius, l’ancien majordome de Bluthaupt, les conduisit jusqu’aux trois cellules contiguës où les trois bâtards étaient renfermés…