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Types lamentables de méchanceté impuissante, ils sont maigres de rage ; dès quinze ans, la jalousie amère arrêta leur crue ; l’éclat d’autrui, qui les blesse, fait grincer leurs dents de roquets venimeux. Ils s’agitent, furieux, entre les jambes des hommes de taille ordinaire ; et chaque fois qu’une renommée surgit, dans quelque genre que ce soit, vous voyez êcumer l’aigre et pâle verjus qui coule au lieu de sang dans leurs veines.

Ils sont chétifs ; ils trempent leurs plumes de roitelets dans une encre saturée de fiel, mais qui ne marque pas ; leurs ongles sont des griffes émoussées ; quand ils mordent, on en est quitte pour se gratter.

Avec quelques cuillerées de cette eau, annoncée chez tous les apothicaires comme souveraine contre les insectes nuisibles, on en purgerait la république des lettres.

Mais on ne daigne pas…

À Geldberg, ces petites créatures mangeaient, buvaient et se taisaient : à leurs moments perdus, ils s’essayaient même à faire d’affreux dithyrambes à la louange des amphitryons.

Là, comme partout, ils passaient inaperçus ; le propre de leur misère, c’est de n’être pas plus remarqués quand ils chatouillent que quand ils égratignent.

La fête qui marchait glorieuse, éblouissante, n’avait pas besoin de ces obscurs suffrages. Son but commercial avait été dès l’abord merveilleusement rempli, et nulle maison en Europe ne possédait désormais un crédit supérieur à celui de la maison de Geldberg.

Il va sans dire que, dans le nombre des invités, il y avait des courtiers chargés d’agir et surtout de parler dans l’intérêt de la maison. Ce n’étaient point de ces vulgaires agents qui font mousser les entreprises à la bourse, commis voyageurs en millions, dont le compérage, facile à reconnaître, ne trompe que les dupes prédestinées.

C’étaient des hommes du grand monde, de beaux noms ; il est comme cela de ces courtiers dont les aïeux illustres ont gouverné des provinces et gagné des batailles.

Et si vous saviez quels courtiers cela fait ! un courtier pareil vaut dix agents de l’espèce ordinaire !

Ils croissent en pleine terre, dans les deux nobles faubourgs ; leurs