» Ah !… une bonne fille, celle-là ! interrompit Goëtz, comme s’il eût parlé de la plus sans-gêne de toutes les lorettes ; sera-t-elle aussi à Bluthaupt ?
— Sans contredit… mais Bluthaupt aura un jeu d’enfer et des festins de Balthazar… Ce ne sont pas les femmes que je crains pour vous, mon frère Goëtz.
» Mon histoire regarde surtout Albert.
» Cette Sara fut autrefois la maîtresse du docteur portugais Mira, l’un des assassins de notre père et de notre sœur.
» Elle avait à peine dix-sept ans alors. Le docteur, commensal de sa famille, abusa d’elle sans doute. Le fruit de cette séduction fut une pauvre enfant, qui a maintenant une quinzaine d’années… »
— Peste ! fit Albert ; dix-sept et quinze… ceci la met dans les respectables.
— Elle est belle et vous êtes faible, dit Otto, dont la voix eut une légère nuance de sévérité ; prenez garde !…
» Depuis lors, elle s’est mariée ; depuis lors, elle a noué intrigue sur intrigue ; mais elle a su conserver toujours une influence extraordinaire sur son premier amant.
» Celui-ci est, vous le savez, l’un des chefs de la maison de Geldberg, qui représente pour nous le patrimoine de notre Franz.
» De tout temps, le docteur eut le droit de puiser à pleines mains dans cette caisse qui fut opulente, mais qu’une perversité folle a vidée. Sara était exigeante ; elle était insatiable ! le Portugais donnait, donnait : Sara demandait toujours !
» Si bien que des sommes énormes y passèrent, et c’est par millions qu’il faut compter les prodigalités du docteur.
» Abel m’avait chargé d’aller à Amsterdam ; Reinhold m’avait confié ses intérêts à Londres ; le docteur me donna mission d’effrayer Sara et de lui faire rendre gorge.
» Cette femme est forte ; elle est habile ; mais il y a autour d’elle trop de crimes… »
— Des crimes ?… dit Albert.
— Des crimes infâmes ! et pour lesquels le vice lui-même n’a pas de pitié !…