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» Le groom me montra la porte d’un geste extrêmement significatif.

» J’étais battu à plates coutures. Ma première pensée fut de faire irruption dans la salle d’armes, et de payer le sauvage coquin en sa propre monnaie ; mes doigts frémissaient d’aise à la pensée de saisir une poignée de sabre. Mais je vaux mieux que ma réputation, il faut en convenir, et quand j’ai dans la tête des instructions de notre frère Otto, je deviens prudent comme un diplomate.

» Je repris le chemin de la rue.

» En passant par la chambre où j’avais entrevu la charmante figure d’Éva, mon regard se tourna involontairement vers la draperie. La draperie retombait.

» — Ceci est l’appartement de Madame ? demandai-je au groom.

» Le groom ne me fit même pas l’honneur de me répondre.

» J’étais dans la rue ; la porte du Madgyar venait de se refermer sur moi. Ma visite avait bien duré en tout dix minutes, et je n’avais aucun moyen de la renouveler.

» Je remontai vers Saint-Paul, la tête basse et songeant tristement à ma déconvenue.

» À côté de l’église, je me rangeai pour laisser passer une voiture qui courait vers le Strand. La roue de cette voiture me toucha presque en passant, et un billet, jeté par la portière, vint tomber à mes pieds.

» L’équipage, lancé à pleine course, tournait déjà l’angle de Fleet-Street.

» Je ramassai le billet, qui était de l’écriture d’Eva.

» Il contenait ces mots seulement :

» La signora di Mantova, Grosvenor-place, 3, Pimlico.

» Je sautai dans un cab, qui, en une demi-heure, me conduisit de l’autre côté du parc Saint-James.

» La signora di Mantova possédait dans Grosvenor-place un petit réduit, coquet et charmant, comme Londres entier n’aurait pas pu en fournir un second. Éva m’attendait dans son boudoir.

» Oh ! la délicieuse femme que cette Éva ! je crois vraiment que j’oubliai encore mon ambassade…

» Elle était là chez elle : s’il existe au monde une créature qui soit