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» Il battit des mains et poussa un grognement de joie.

» — Va chercher du papier. Corneille ! s’écria-t-il, du papier, une plume et de l’encre… Voilà un homme qui va sortir d’ici plus pauvre qu’un mendiant !

» Corneille mit sur la table tout ce qu’il fallait pour écrire, et nous signâmes tous deux une feuille de papier en blanc.

» Le bon Fabricius avait peine à se tenir en équilibre sur son siège ; ses yeux, rougis, lui sortaient de la tête.

» — Jouons vite, dit-il, car j’ai peur de vous voir tomber ivre-mort avant la fin de la partie.

» — Je donnai les cartes ; il fut deux bonnes minutes à regarder son jeu ; puis il écarta le roi et deux atouts.

» Je fis le premier point.

» Allume ma pipe. Corneille, dit-il ; ce pauvre homme ne sait pas jouer, et c’est pitié de lui gagner son argent…

» Après deux autres minutes d’efforts pénibles il parvint à me donner cinq cartes ; sa pipe mettait entre lui et moi un épais nuage de fumée.

» J’avais le roi, je fis la vole.

» — Vois, Corneille ! s’écria-t-il en retournant son verre vide dans sa large bouche ; voici déjà quatre points de faits !… ah ! ah ! que va devenir ce pauvre diable !

» Au coup suivant je fis le cinquième point.

» — Vous avez perdu, dis-je.

» — Ah !… ah !… ah ! murmura-t-il. Écoute-le, Corneille !… il dit que j’ai perdu… mets-le dans un bon lit et va chercher un médecin… ah ! ah ! les gens ivres !…

» Sa pipe s’échappa de sa main et roula par terre ; il ferma les yeux, après m’avoir lancé un dernier regard de souveraine compassion, et glissa de son fauteuil sur le carreau.

» Il n’était pas tombé tout à fait encore qu’on entendait déjà ses sonores ronflements.

» Je déchirai mon blanc-seing et je mis le sien dans mon portefeuille.