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de vie à nos provisions ?… Cette route inhospitalière n’a point d’auberge pour nous, et voilà plus de six heures que je n’ai dîné !

Il tira des poches de la chaise divers comestibles mis en réserve à la hâte, et arrangea un repas sur ses genoux à tâtons.

Albert et Otto l’imitèrent.

— Si l’on veut, dit Goëtz, la bouche pleine, je vais commencer mon histoire.

» Le matin du mardi-gras, je vous quittai, emportant avec moi un petit bout du rôle que j’avais casé de mon mieux dans ma mémoire, et deux lettres, écrites de votre main, mon frère Otto, toutes deux adressées à M. Abel de Geldberg, avec la date du surlendemain, jeudi, 8 février.

» Le jeune M. Abel eut la bonté de me conduire jusqu’au premier relais, pour être bien sûr que vous partiez… »

La nuit cacha le sourire d’Otto : Albert et Goëtz laissèrent éclater tous les deux leur gaieté revenue.

Ce dernier poursuivit :

— Il paraît que, la veille, vous aviez fait au jeune Monsieur d’énormes compliments ; car, tout le long de la route, il joua la modestie la plus réjouissante… Moi, je n’étais pas en verve, et je ne trouvai d’autre politesse à lui faire que l’offre d’un verre de punch, à Luzarches. Il me refusa, sous prétexte qu’il n’avait pas déjeuné.

» Je soupçonne que ce fade mignon déjeune avec du café au lait. Il me donna ses instructions, tant bien que mal, et j’eus le plaisir de lui souhaiter le bonjour.

» À Compiègne, où je m’arrêtai une demi-heure, je me fis servir un pâté de Strasbourg, et l’hôtelier me dit qu’il avait en cave du chambertin de 1827… »

— Passons, interrompit Otto.

— Passons, si vous voulez, reprit Goëtz ; mais non pas sans boire le chambertin, qui était pures délices !…

Goëtz huma un verre de bordeaux, au souvenir de ce chambertin précieux.

— Je vois bien qu’avec vous, poursuivit-il, je dois arriver tout d’un coup au but de mon voyage.