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qu’il devait accomplir au château de Geldbcrg ; il se disait bien que Gertraud serait de trop à ses côtés.

Mais comment la laisser seule à Paris ?

Gertraud d’ailleurs avait tant prié ! elle ne voulait point quitter son père, et une voix secrète l’appelait vers cette Allemagne où était le pauvre Jean Regnault.

Il y avait maintenant bien des jours qu’elle n’avait reçu de ses nouvelles. Son visage, si joyeux naguère et si frais, portait désormais quelques traces de souffrances. Des rêveries pénibles avaient passé, sur ce jeune front, et l’insomnie, longtemps ignorée, était venue mettre un peu de pâleur sur les joues de la jeune fille.

Mais aujourd’hui la mélancolie faisait trêve ; Gertraud se démenait vive, affairée, alerte ; elle allait de chambre en chambre déplaçant tout, et poursuivie par la peur d’oublier quelque chose. L’agitation trompait sa tristesse ; parfois même, dans l’enthousiasme zélé de son travail, elle se surprenait à chanter quelques couplets de ses chansons aimées.

Vous l’eussiez reconnue alors pour la gentille enfant, insouciante et heureuse, dont le naïf sourire éclaira les premières pages de ce récit ; mais bientôt sa paupière se baissait : le chant commencé mourait entre ses lèvres ; il y avait comme un remords sur ses traits soudainement assombris.

C’est que l’image du pauvre Jean, tel qu’il s’était présenté à elle le matin du mardi-gras, venait de passer dans ses souvenirs. Elle le voyait morne, défait, brisé, comme un condamné le jour du supplice ; que faisait-il à présent ? où était-il ? Était-ce bien vrai ? Dans cette âme si bonne, l’idée du meurtre avait-elle germé ?…

Oh ! que Gertraud se reprochait amèrement l’élan étourdi de sa joie !

Bien des fois, depuis l’heure de la séparation, elle avait cherché Geignolet pour l’interroger encore et mieux savoir ; mais l’idiot avait tout oublié.

Et Gertraud était obligée de garder en elle-même sa douleur inquiète ; elle ne pouvait pas même la confier à son père, qui avait eu jusqu’alors tous ses petits secrets.

Cette confidence eût accusé Jean Regnault.