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C’était un matin vers neuf heures. Le bonhomme Araby venait d’arriver à sa boutique et avait donné l’ordre à la Galifarde étonnée de fermer la porte de la rue.

Quand elle eut obéi, le vieillard la prit par les épaules et la poussa dans le petit magasin où il n’y avait plus que d’immondes lambeaux, impossibles à vendre.

Depuis huit jours, en effet, le juif opérait une sorte de déménagement ; il emportait chaque soir le plus qu’il pouvait d’objets sous sa houppelande râpée. Le jour, il envoyait chercher par Nono la Galifarde ses acheteurs ordinaires, et il vendait sans relâche.

Quant aux emprunteurs, ils n’avaient pas beau jeu ; Araby ne prêtait plus.

On avait beau lui proposer des intérêts exorbitants, il ne se laissait point séduire.

Chaque jour, une heure ou deux avant de se retirer, il faisait clore sa porte et s’enfermait à double tour dans son petit bureau.

Nono, elle-même, bien qu’elle eût tâché de voir, poussée par sa curiosité d’enfant, n’aurait point su dire ce que le vieillard faisait seul ainsi pendant ces deux heures.

À travers les fentes de la porte du magasin, elle avait entrevu seulement son maître se glissant vers ce coin du bureau où les loques amoncelées atteignaient le plafond.

Mais le regard de la petite fille ne pouvait point pénétrer jusqu’au coin lui-même ; elle perdait de vue le bonhomme au milieu de la chambre, et ce qu’elle entendait alors ne lui apprenait rien.

C’était un bruit périodique et sourd qui durait jusqu’au coup de quatre heures.

À quatre heures, le vieillard revenait à sa place accoutumée, où Nono le voyait s’asseoir tout essoufflé, il essuyait son front baigné de sueur d’une main tremblante, puis, après s’être reposé quelques instants, il s’échappait comme d’habitude par les derrières de la Rotonde.

Il va sans dire qu’il n’oubliait jamais de refermer la porte de son bureau.

Le matin dont nous parlons, Araby n’envoya point chercher ses acheteurs, il n’avait plus rien à vendre.