On eût pu voir sa physionomie se transformer peu à peu ; l’effroi superstitieux y faisait place à l’avarice inquiète et à l’astuce rappelée.
Cent trente mille francs !… ce chiffre formidable sonnait à son oreille comme l’éclat d’une trompette, et l’eût éveillé de son agonie.
Il redevenait lui-même ; il sentait renaître en lui la passion de débattre, de marchander, de tromper.
Ses petits yeux gris brillaient, et roulaient comme autrefois derrière les poils recourbés de ses sourcils.
— On n’ouvre pas cette porte-là tous les jours, dit-il avec une intention de flatterie ; et bien peu de gens peuvent se vanter de s’être assis à la place que vous occupez maintenant, mon bon Monsieur… S’il y avait quelque chose dans cette pauvre demeure, je vous offrirais le pain et le vin pour vous montrer encore plus de respect… Mais les temps sont difficiles, Dieu le sait ! L’argent se cache, et ce n’est pas avec mon malheureux métier qu’on peut se donner les aises de la vie.
— Je vous tiens quitte à ce sujet, meinherr Mosès, répliqua Rodach ; c’est de l’argent qu’il me faut.
Araby essaya de sourire.
— De l’argent ! répéta-t-il, à quoi bon railler un pauvre vieillard ?… regardez autour de vous, mon bon Monsieur… ce que vous voyez, c’est toute ma fortune !
Rodach éleva entre ses doigts la traite que le bonhomme Araby n’avait pas cessé de suivre d’un regard sournois.
— Alors, dit-il, vous ne pouvez pas m’escompter cela ?
L’usurier joignit ses mains, dont les doigts s’emboîtèrent avec un bruit de parchemin froissé.
— Seigneur ! Seigneur ! murmura-t-il, on vendrait tout ici pour trouver la centième partie de cette somme !
Le baron reprit son portefeuille, et l’ouvrit.
— Attendez ! attendez ! poursuivit le vieillard ; c’est une riche maison que Geldberg, Reinhold et compagnie… une maison comme on n’en voit peu, mon bon Monsieur… ai-je rêvé, ou m’avez-vous bien dit que la traite était protestée ?
Il n’y avait plus entre eux de cloison qui pût faciliter un tour de passe-