— Parbleu !
Mira les regardait l’un après l’autre ; il y avait un peu d’étonnement sur son visage immobile.
— Ah çà ! dit-il, cachant un mouvement de curiosité sous son air grave et chagrin, comment avez-vous fait votre compte, puisque vous n’avez quitté Paris ni l’un ni l’autre ?
— On a ses petites ressources, répliqua Reinhold en se faisant valoir.
— Les proverbes sont des sots, ajouta le jeune M. de Geldberg, et le plus sot de tous est celui qui recommande de faire soi-même ses propres affaires… quand on a un bon ambassadeur…
— Ah !… interrompit Mira, vous avez traité avec Van-Praët par ambassadeur ?…
La figure du jeune banquier peignait la plus magnifique satisfaction de soi-même. Il se contenta de s’incliner en signe d’affirmation.
— Et vous aussi ?… demanda encore Mira en s’adressant à Reinhold.
— Comme vous dites, répliqua le chevalier, et j’ai peine à croire que l’ambassadeur de notre jeune ami puisse aller seulement à la cheville du mien.
— Si je vous le nommais !… commença vivement Abel.
Mais il se retint et prit un grand air de discrétion affectée.
— Je me tais, reprit-il, en se pinçant la lèvre ; j’ajoute seulement que votre fameux intermédiaire et vous, Monsieur le chevalier, vous avez enfoncé une porte ouverte…
— J’aurais voulu vous y voir ! grommela Reinhold, dont la figure épanouie se rembrunit pour un instant, rien qu’a l’idée d’affronter le Madgyar en colère.
— Peuh ! fit Abel, s’il ne s’était agi que de mettre à la raison ce vieux traineur de sabre, je ne m’en serais fié à personne qu’à moi.
— Cela vous eût donné en effet, mon jeune ami, répliqua Reinhold aigre-doux, l’occasion de prouver au moins une fois, ce que vous affirmez trop souvent… à savoir, que vous êtes très-brave…
Abel rougit jusqu’à la racine des cheveux.
Ce mot le piquait d’autant plus au vif, qu’il lui manquait réellement une demi-douzaine de duels pour être un parfait sporting-gentleman.