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dit Regnault d’un ton caressant. — Messieurs, buvons à la santé du seigneur Yanos !

Les gobelets se choquèrent ; — le Madgyar vida le sien deux fois coup sur coup.

L’ivresse commençait à le dompter. Il se leva chancelant et frappa du poing sa robuste poitrine.

— Oui, oui, je suis brave ! s’écria-t-il ; — donnez-moi des hommes à combattre et non pas des femmes à tuer !… Vous souvient-il comme cette chambre était noire ?… on n’y voyait rien que ténèbres… et, du fond de cette nuit épaisse, nous avions entendu le bruit de deux pistolets qu’on armait…

Le juif se prit à trembler de souvenir. Les autres convives étaient pâles, et Regnault lui-même perdait son sourire moqueur.

— Je m’avançai tout seul, poursuivit le Madgyar, qui secoua sa longue chevelure ; quelque chose m’attirait vers cette chambre où le danger menaçait… Ah ! si les peuples en étaient encore à se livrer bataille, je sais bien que je serais un héros !…

Sa belle tête rayonnait d’un enthousiasme sauvage, et il semblait grandi d’une coudée au milieu de ses compagnons rapetisses.

— J’entrai, continua-t-il ; — la nuit s’illumina une fois, puis une autre fois encore, et à la lueur de deux coups de pistolet, je vis un homme debout et le sabre à la main au milieu de la chambre… Je m’élançai ; les fers se croisèrent en grinçant… Ulrich tomba… vous vîntes alors, mes compagnons, ajouta Yanos avec un mépris amer, — vous vîntes tous les cinq… et je crois que vous l’achevâtes !

Le Madgyar s’affaissa sur son siège et tendit son gobelet, que Zachœus s’empressa de remplir.

— Il ne serait pas impossible, murmura Van-Praët, — que le seigneur Yanos eût, cette nuit encore, une épée pour croiser la sienne…

Le Madgyar se redressa vivement. Regnault cligna de l’œil d’un air d’intelligence, persuadé que Van-Praët parlait ainsi pour flatter la manie d’Yanos.

Les autres convives interrogèrent Van-Praët du regard.